Chapitre 9

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Août 2009

    

Je crois que je pleure. Je n'en suis pas bien sûre, parce que je suis comme anesthésiée, mais il me semble sentir le goût salé des larmes au coin de mes lèvres. Je fais les cent pas dans le parking, sans trop savoir quelle réaction je suis censée avoir. Je ne peux pas me mettre officiellement en colère contre Marie parce que, même si ce n'est qu'une sale conne, dans le fond, elle a raison. Mais je ne peux pas non plus faire comme si de rien n'était, tout simplement parce que j'en suis incapable.

Dix minutes viennent de passer depuis le départ de Marie lorsque j'entends près de moi le bruit d'une porte d'immeuble qui s'ouvre à la volée. Probablement Valentin qui s'inquiète enfin de mon sort. Il serait temps. Il aurait pu m'arriver n'importe quoi pendant qu'il était en train de se fendre la poire avec ses potes. Mais même s'il ne s'est pas pressé, je suis contente de le voir. J'ai besoin de me blottir dans ses bras, de fermer les yeux et d'oublier tout le reste.

— On peut rentrer, s'il te plaît ?

— Euh, j'aimerais bien mais ça va être compliqué de partir ensemble.

Je sursaute. Ce n'est pas Valentin. Et pourtant, je reconnais la voix. Il me faut quelques instants pour identifier la silhouette qui vient à ma rencontre. Comme par hasard, il s'agit de Vence.

C'est la première fois que je ne suis pas contente de le voir. Lui, au contraire, a l'air décontracté. Ses manches de chemise sont remontées sur ses bras et il a une bière à la main, comme s'il s'était égaré de la soirée et qu'il passait par hasard sur le parking.

— Qu'est-ce que tu fais là ? dis-je sèchement.

— Marie nous a dit que t'étais malade. Comme je ne te voyais pas remonter, je me suis inquiété.

Devant sa gentillesse, mon irritation retombe un peu. Je le laisse s'approcher, et c'est alors qu'il remarque mes joues striées de larmes.

— Oh, princesse, qu'est-ce qui ne va pas ?

— Rien d'important.

Je sèche mes yeux d'un geste nerveux de la main et j'essaie de me reprendre. Je suis agacée. C'est vrai, quoi. Chaque fois qu'il me parle, c'est à un moment où je vais mal ou bien lorsque je suis en train de pleurer. C'est lassant. J'aurais bien aimé, pour une fois, être celle qui le fait rire et non celle pour qui il s'alarme constamment.

— Tu veux marcher ? propose Vence.

— Où est Valentin ? je rétorque.

Je vois ses prunelles s'assombrir un court instant.

— Là-haut. Il discute avec les gars.

J'hésite. Je sais que ce n'est pas raisonnable de partir faire un tour seule avec Vence après toutes mes bonnes résolutions, après ce qui vient de se passer avec Marie, et sachant que Valentin est juste quelques étages au-dessus de moi. Mais je suis frustrée – non, pire : je suis déçue – de constater qu'une fois encore, au moment où j'ai le plus besoin de lui, Valentin n'est pas là. Pourtant, il sait que je ne suis pas au mieux de ma forme, puisque Marie les a tous avertis. Puisque Vence, lui, est au courant. Et le fait est que l'un est venu voir comment j'allais, et l'autre pas.

— OK, dis-je brusquement. Allons faire un tour.

Nous traversons silencieusement le parking en direction du petit espace arboré qui se trouve de l'autre côté de l'immeuble. Vence se tient très près de moi et m'observe à intervalles réguliers. Je crois qu'il a peur que l'alcool me fasse tomber. Je ne lui ai pas dit que je ne suis pas aussi ivre que Marie l'a prétendu. Je n'ai pas envie d'entendre les questions qui pourraient suivre.

— T'es sûre que tu ne veux pas me dire ce qui ne va pas, princesse ? insiste brusquement Vence en se tournant vers moi.

J'aimerais l'envoyer balader en lui rappelant son flirt avec Marie, tout à l'heure, quand il croyait que je ne regardais pas, mais je n'y arrive pas. A la place, je souris malgré moi. C'est bête, mais j'aime bien quand il m'appelle « princesse ». C'est un surnom tout doux, je trouve, et un joli symbole, plutôt flatteur. Un de ces surnoms que Valentin déteste, lui qui préfère m'appeler affectueusement son « boulet ».

— Je sais qu'on ne se connaît pas encore très bien, ajoute Vence tandis que nous atteignons le parc et que nous prenons place côte à côte sur la pelouse, mais si t'as des soucis, tu peux me le dire. Je suis pas quelqu'un de bavard, demande à Matéo. Ce que tu me racontes, je ne le répéterai à personne.

Je ne réponds pas tout de suite. Sa proposition est tentante, bien sûr. J'aimerais beaucoup lui parler, lui raconter ce que je traverse, lui exprimer tout ce que je ressens, mais je suis trop stressée et trop honteuse à l'idée que quelqu'un – qui que ce soit – apprenne ce qui se passe dans ma tête.

Oui, je suis angoissée, bouleversée, terrorisée même par cette simple possibilité, et pourtant j'aurais tellement besoin de me confier... Besoin d'entendre que je ne suis pas méchante, que je ne suis pas anormale, que l'on a le droit de ressentir des choses même si la société ne le permet pas. Le dilemme est tel que sans m'en rendre compte et malgré moi, je me remets à pleurer.

Vence réagit au quart de tour. Immédiatement, il est là, près de moi, et d'un geste protecteur, il m'entoure de ses bras de sorte que mon visage trouve naturellement sa place au creux de son épaule.

Je suis soudain submergée par son contact chaud et doux à la fois, par les muscles que je sens saillir sous la chemise et qui me procurent une sensation ô combien rassurante. J'entends son cœur pulser dans sa poitrine. Le mien perd les pédales. J'inspire à fond pour essayer de me contenir mais son odeur m'envahit aussitôt, un mélange de lessive et de cigarette qui m'enivre plus que n'importe quel alcool. Mes mains se crispent sur ses avant-bras. J'entends son souffle à mon oreille, il est un peu rauque, sa respiration s'accélère. Lui aussi est troublé, je le sens, je le sais.

Je n'ose pas bouger, de peur de rompre le charme.

Lui non plus ne fait pas un mouvement.

Je voudrais que cet instant dure une éternité.


Je choisis de t'aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant