III - La Lettre - Partie 2

172 21 119
                                    

☾☾☾

26 octobre 1874 — Palais des Chimères

Lunera avait passé la journée et celle qui suivait, à méditer. Le matin du troisième jour, elle se surprit à être réveillée en plein milieu de la nuit, en forme. Elle s'était alors glissée hors de son lit, s'était juchée sur son fidèle poste d'observation près de la fenêtre et s'était laissée aller à une contemplation béate de la lune. « La lune te guidera toujours. » avait écrit son père, à la toute fin de la lettre.

Aussi, au petit matin, une décision fut prise : elle refusait de lui accorder sa confiance. Cette lettre avait poussé sa souffrance à son paroxysme. Lunera ne jetait cependant pas ses dernières volontés aux orties. Prise d'une hardiesse sans précédent, une seconde décision suivit la première : elle quittera le Palais des Chimères pour Sultakara.

Là-bas, je me présenterai au roi, ce Assad dont parlait père... Je suis sûre qu'il acceptera de me parler et de m'expliquer vraiment tout ce qu'il s'est passé. Ils m'aideront, sans aucun doute.

En plus d'être décidée de mettre les choses au clair, de démêler le vrai du faux, elle désirait secrètement voir le monde extérieur de ses yeux. Les différents royaumes, pays, continents, elle ne les connaissait qu'à travers les livres.

Je pourrais voir de mes yeux ce qu'a ce monde de si spécial pour retenir père...

Malgré ses nouvelles résolutions, il fallait avouer que s'aventurer dehors lui faisait un peu peur. Elle n'avait jamais mis un pied au-delà de la petite cour derrière leur maison, où sommeillait le dragon de son père. La seule fois où Lunera s'était gonflée d'impudence, Darkodem était immédiatement réapparu et l'avait punie avec sévérité.

Pour retarder le moment fatidique de son départ, Lunera décida de taire une autre de ses curiosités : le premier sous-sol du palais où Darkodem disait y avoir caché quelque chose « d'intéressant ».

Ce matin-là, donc, ne prenant même pas la peine de déjeuner, Lunera descendit directement dans les catacombes du palais. En empruntant la première marche, elle ne put s'empêcher de frissonner, mais rien ne vint perturber sa descente.

Elle se rendit directement dans le premier sous-sol, une pièce sombre et poussiéreuse. L'humidité battait son plein si bien que Lunera ne cessait de tousser. D'un geste de la main, elle alluma les torches fixées au mur et les flammes vives dévoilèrent les détails de cette petite salle. Au centre, il y avait une dizaine d'armes posées de sorte à former un cercle et une feuille aux bords déchiquetés comme arrachée d'un livre. Venant probablement d'un grimoire ancien, la page était jaunie et en piètre état.

Lunera observa les armes et vit qu'il s'agissait de dagues courbées. Leurs lames noires semblaient être taillées dans un métal semblable à de la roche volcanique. La jeune fille prit alors le parchemin et le parcourut avec attention. Lunera réprima un hoquet de stupeur. C'était une recette. Et pas n'importe laquelle ! On y expliquait la fabrication de la Lame Jahanama, une épée légendaire. Lunera jeta un regard stupéfait aux armes démoniaques par terre.

Comment père a pu avoir tout ceci ?

Cette arme n'était pas anodine. Sa renommée surpassait clairement les Slames. On ne la connaissait qu'à travers des mythes épiques, relatant ses pouvoirs démesurés. La légende racontait que cette lame serait forgée avec le feu de l'enfer, par l'une de Trois Soeurs. Celle-ci, avant de mourir disait-on, l'aurait scindée en une dizaine de poignards, avant de les cacher à travers le monde. Que Darkodem ait mis la main sur un tel artefact la laissait bouché bée ! Lunera tourna la feuille et reconnut l'écriture calligraphiée de son paternel.

Utilise l'atmosphère d'eau.

Décidée, Lunera commença à suivre les instructions. Son père avait déjà organisé leur disposition, essentielle au bon déroulement de la forge. C'était un bon début.

Atmésphérus Agua.

Surgissant du néant, de l'eau mouilla le sol, les armes et les murs. Les gouttes formées s'assemblèrent et formèrent ensemble un dôme d'eau. Une délicate fraîcheur s'installa, rendant les lieux plus respirables.

« Concentre-toi. » disait le parchemin.

— Bien... Jahanama ! lut-elle.

Ses iris virèrent au rouge. Le talent inné de Lunera pour la magie lui fut d'un grand secours. Un bourdonnement retentit et une lumière écarlate apparut. Celle-ci était si éclatante que Lunera dut se protéger les yeux. Soudain, un feu infernal saisit les fers et les embrasa sous le regard abasourdi de la jeune fille, effarée devant tant de puissance.

La chaleur était époustouflante et les flammes tournoyaient en vitesse autour des dagues. Lunera en venait même à se demander l'utilité d'une aura aquatique, qui d'ailleurs s'était brisée. La fournaise monta d'un cran, si bien que Lunera craignît que ce soit un piège et que le sortilège soit un aller simple pour l'enfer.

Tout à coup, une petite explosion fit sursauter violemment Lunera. Terrifiée, elle constata que le métal fondu des dix pièces commençait à s'assembler. N'ayant pas le temps de réfléchir plus, une autre détonation retentit et fit trembler les parois de pierre qui soutenaient sa maison. Lunera osa à peine jeter un coup d'œil et ce qu'elle vit n'était pas de nature à la réconforter... Un brasier bleu prenait du volume et commençait à emplir l'espace au milieu du cercle.

Il faut partir !

Lunera, sans se faire prier, fit volte-face et détala le plus vite possible hors de l'endroit. À peine avait-elle rejoint le hall, qu'une déflagration secoua les lieux et la fit tomber. Elle se releva en époussetant sa robe de chambre, avant de redescendre les escaliers, saisie par de fortes émotions. Cette mise en scène promettait une formidable puissance.

La porte du sous-sol avait été totalement défoncée et brûlait joyeusement dans un coin. Une fumée âcre sortait de la salle et agressait les poumons de la jeune fille. S'équipant au préalable d'un charme venteux, Lunera entra. Des cendres et des débris jonchaient le sol calciné. Une brise ardente la fit suffoquer, mais Lunera ne s'en préoccupait pas trop.

Elle n'avait d'yeux que pour la magnifique épée, qui reposait tranquillement par terre. La lame, d'un rouge évoquant le sang irradiait d'un éclat pourpre peu commun qui la laissait coite d'admiration. Dessus, étaient gravés les mots suivants : « La puissance de Jahanama n'est égalée que par Janna ». La couleur était si profonde que Lunera aurait pu passer des heures à la contempler. Le manche, en or et serti de rubis gros comme des pouces, venait parfaire le tranchant en y ajoutant cette touche d'opulence. Elle s'en saisit.

— Bah, dis donc... murmura-t-elle avec un soupir d'émerveillement

Satisfaite, Lunera remonta, sa nouvelle acquisition en main. Un étrange lien l'unissait à cette lame, elle le pressentait. La poignée épousait parfaitement ses doigts et diffusait une chaleur agréable qui venait les réchauffer. Les paroles de Darkodem lui revinrent en tête : « Tu es unique, souviens-toi ». Avec un soupçon d'orgueil, Lunera en vint à penser que cette épée souveraine s'accordait noblement avec sa nature.

Dois-je la prendre avec moi à Sultakara ? 

Terreur Lunaire - Livre 1 - Vers le Cœur ArkhaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant