Au fond de l'océan

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De toute façon qui voudrais me sauver? Qui tiens à moi au point de plonger pour venir me sauver? Personne. Bien alors c'est décidé. Je laisse tout tomber. Ce soir je ne vous dirais pas au revoir. Non, après tout vous m'oublierez vite.

Devant ma baignoire, je fixe l'eau qui coule, mon corps nu, ou plutôt recouvert de bleus, cicatrices et de douleurs inavoués. Je me plonge dans l'eau bouillante, ma seule amie à la main. Et mon rituel recommence, mais cette fois ne s'arrêtera pas. Cette bonne vielle copine me permet de laisser mon liquide rouge teinter la belle eau claire de mon bain en une eau pourpre. Une minute passa, puis deux, trois, quatre, jusqu'à ce que le temps me perde. Je me laisse couler dans cette eau salie par ma vie.

Ce fut une noyade sans fin, je coulais, coulais, encore et toujours. Comme si je me retrouvais au milieu de l'océan. L'eau refroidissait au fur et à mesure que je semblait m'enfoncer dans l'eau. Ma vision se brouillait, la lumière avait de la peine à se frayer un chemin jusqu'ici. Elle abandonna l'idée de m'accompagner et laissa l'ombre des fonds marins m'engloutir. Un sol, il y eu soudain un sol sous mes pieds, un sol froid, dur, auquel je me heurta. Une porte faite de roche marine fit son apparition et derrière il y avait une pièce sans fin, d'un blanc froid, les dalles sur lesquelles mes pieds marchaient étaient glaciales, mais si rassurant, si agréable. Ce fut comme si le temps d'un instant j'étais libre.

Un vague pleure me parvint aux oreilles, je me retourna et par la fente de la porte je vis la famille, tout de noir vêtu, en pleure sur un cercueil. Le mien je suppose. Pendant un instant j'eus un doux sourire, nous sommes tous libérés non ? Vous de moi et mes idées noirs, moi de ce monde qui ne m'aime pas. Je reculais tout en gardant les yeux sur cette vision, lorsque je bouscula quelqu'un. Par habitude, je baissa la tête et m'excusa.

"Que fais-tu là?" fut la seule parole qu'il dit l'homme blanc. Peau, vêtement et cheveux tout étaient blanc. Sauf ses yeux qui sont d'un marron magnifique, comme le tronc d'un arbre. Il répéta à nouveau sa phrase, en penchant sa tête sur le côté. Alors je lui expliqua tout, de A à Z, sans parenthèse, mise sous silence, tout ces regards des autres sur moi, toutes ces critiques, cette manière de me rabaisser, mes parents aveugles face à ma douleur. Je finis en pleur, alors qu'il me fixait, je hurlais, criais, me griffais la peau jusqu'au sang, vomi et m'écroula à bout de souffle. J'avais l'impression de revivre mon calvaire, encore une fois. Mes mains sur les oreilles je le suppliais d'arrêter.


L'être debout devant moi se mit à genoux et d'un geste de la main me montra un souvenir. Plongée dans celui-ci, je revivais les sensations, les émotions, comme si tout était vrai. Ma mère riait au éclats alors que mon père faisait le clown, mon frère tentait de retenir son rire et moi je me roulais de rire, je... Je riais à en avoir mal au ventre. "Tout ne fut que souffrance ?  Réellement ?" L'homme en blanc attendait ma réponse, mais mes mots restèrent piégés,  j'avais mal, mon corps cherchait à se sauver de cet endroit, mon instinct me poussait à nager, à tenter de remonter à la surface. D'un claquement de doigt je me retrouva à nouveau au fond de la mer, dans l'océan de ma vie. Bien que l'eau soit salée par l'amertume de la douleur, elle avait parfois un doux goût sucré, un éclat de joie. Je compris alors : ma vie n'est pas que chaos, douleur et noirceur, elle a aussi eu son lot de bonheur, un bonheur pour lequel il faut se battre. Voilà ce que j'avais oublié. Il faut se battre, lutter de toutes ses forces. C'est alors que mon instinct me hurle de bouger, de ne pas rester là.

Je tente de remonter à la surface, je me débat contre mon ombre, je me bat avec moi-même. Je crie, hurle à m'en briser les cordes vocales, mais aucun son ne sort, rien que des bulles enfermant ma voie. J'essaye d'atteindre la lumière, mais impossible, j'ai comme un poids qui m'enfonce de plus en plus dans l'eau. Je me débat. Crie. Hurle. Mon sang, lui qui est censé me garder en vie, entra dans mes poumons. Ce liquide rouge qui devrait alimenter mon corps en oxygène s'infiltra dans mes bronches et détruit mes dernières chances, anéantit mon dernière espoir. Mon sang me tua.

Tout se stoppa net. Une ombre s'approche, une créature squelettique vêtu d'une simple cape imposait sa présence devant moi. Une partie de moi fut rassurer, celle que je chérissais depuis tant d'année était venue. Plus rien, ni lumière, ni espoir. Plus qu'elle est moi. Elle tendis sa main que je saisis sans attendre. Et l'océan qui m'entourais disparut, à la place un paysage désolant, des tombes en morceaux,  des arbres morts. Des chaînes vinrent m'emprisonner au vide immense qu'était ce lieu et la voie de ma chère et tendre Faucheuse me murmura: «À toi qui souhaitais la liberté je t'offre cette terre. Et que la solitude devienne ta seule compagnie.»

Laissez-moi sombrerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant