Je suis cet homme qui atteindra les sommets,
Je suis ce soldat qu'aucune route n'effraie,
Pourvu que ce moyen m'approche de mes fins.
Quoique je doive faire pour ça, j'irai loin.
Le voilà enfin gisant au sol. Je ne pouvais le laisser s'échapper, il nous avait presque humiliés. Lors d'un pillage, c'est avant tout la peur qui nous donne l'avantage. Nous ne pouvons les laisser espérer. Nous devons être suffisamment féroces et effrayants pour que l'idée de résister ne leur vienne pas à l'esprit. Je n'aime pas ce rôle, mais il est si rentable de faire cela. Tant d'avantages... Être choisi comme pilleur par le commandement, quelle faveur ! Chacun le sait, nul ne l'admet, nous sommes libres de nous servir, d'agir comme bon nous plaît. Quand le capitaine n'est pas encore un de ces idéalistes refusant l'ivresse, le vol et le viol, après l'acte. Se conformer à la mission, ne pas laisser son esprit s'égarer dans le tourbillon de la liesse... Balivernes d'idéaliste, ne connaissant du monde que le chaud foyer de sa cheminée. Mais je dois remercier ce jeune forgeron, reconnaissable entre mille à son tablier de cuir épais. Le capitaine, s'il n'est pas encore mort aura bien du mal à se relever de pareil chute, au sens propre comme au figuré. Je retourne sur le lieu où il est tombé, et descends de ma monture. Son cheval gémit de douleur, ses côtes défoncées par la masse du forgeron. N'écoutant que mon cœur, je sors mon coutelas et lui tranche la gorge pour qu'il cesse enfin de souffrir inutilement. Je prends une grande inspiration pour me ressaisir tant j'abhorre le meurtre de sang-froid, aussi louable soit-il. Je me tourne vers le capitaine piaffant de douleur. Il me marmonne, d'un souffle à peine perceptible, de l'achever, son honneur le poussant à ne pas devenir un poids pour notre petite troupe. Si la situation m'arrange, me libérant de toutes ses règles, j'ai beaucoup de mal à accéder à sa requête. Je prends une grande inspiration, raffermit ma prise sur la poignée de mon instrument, m'agenouille, et finalement tranche sa carotide. Je ramasse alors le cor qui est toujours accroché à sa ceinture. Je prends une grande inspiration, et souffle dans la corne qui vrombit et appelle les soldats alentours. Certains tardent un peu, et je sais bien pourquoi. L'air innocent que tous affichent à leur arrivée tranche radicalement avec leur faciès et leurs manies de criminels, et ne font que confirmer ce que je savais déjà de leurs activités. Chanceux... Ils ont toujours réussi à satisfaire leur cupidité et leurs besoins dans le dos du capitaine. Seul moi, en tant que fidèle second mal aimé de cet officier si allergique à la flatterie, devait me conformer à ces règles si absurdes. Quand tous sont là, et que les questions commencent à pouvoir se lire dans leurs regards, je m'avance.
" — Mes amis, comme vous pouvez le voir, l'capitaine est tombé! En tant que second, j'prends donc le commandement, et je décrète que nous pouvons faire ce que nous voulons! Boire, voler, brûler, violer, amusez-vous les gars!"
Un hourra me répond. Je n'ai pas réussi à me défaire totalement de mon habitude à côtoyer les nobles dans ma prise de parole, mais ma première résolution semble suffisamment leur convenir pour qu'ils ne me remettent pas en question. Ils sont alors sur le point de se disperser pour poursuivre le pillage et la destruction des ressources qui pourraient être envoyées aux soldats du front avant d'enfin pouvoir se divertir, quand un cavalier solitaire apparaît, au loin, sur la route. Il porte les couleurs de mon seigneur. Mes soldats se lancent des regards interrogatifs avant de se tourner vers moi et que je leur fasse comprendre qu'il vaut mieux attendre l'arrivée du héraut. Je remonte en selle et fait avancer mon cheval au pas pour me positionner en tête du groupe et pouvoir attendre le cavalier en une position limpide d'officier. Quand enfin il arrive à ma hauteur, il me tend un parchemin scellé avant que je ne lui fasse comprendre que je ne sais lire. Il me demande alors pourquoi un capitaine ne sait pas lire avant de comprendre de lui-même en apercevant le cadavre un peu plus loin. Il s'éclaircit alors la voix avant de déclamer:
" — Soldats, nos ennemis avec l'aide de forces hérétiques extérieures, sont parvenus à nous surpasser sur le champ de bataille. Un repli stratégique est donc nécessaire. Vous avez ordre de nous rejoindre aux places fortes frontalières pour nous permettre de tenir des sièges. Les pillages sont désormais inutiles. Hâtez-vous, et que Dieu nous garde."
À ces mots, je reçois comme un poing ganté de fer dans l'estomac. Jamais je n'avais imaginé que nous puissions être défaits. En outre, je ne peux m'empêcher d'être déçu de n'avoir pu profiter de l'opportunité que j'avais enfin de bien m'amuser et m'enrichir. Mais je le sais, nous devons aider, ils auront besoin de nous, et avec la proximité que j'ai atteinte avec mon seigneur, j'ai tout intérêt à ce que nous soyons finalement victorieux. Je donne l'ordre d'incendier le village sans perdre de temps pour que nous puissions le plus rapidement possible repartir. C'est alors que j'aperçois une écurie un peu plus loin. J'invite quelques hommes à me suivre et nous allons l'explorer. Nous y trouvons une demi-douzaine de bêtes. C'est bien trop peu pour la vingtaine que nous sommes. Toutefois, peut-être nous seront-elles utiles pour progresser plus rapidement, en faisant tourner les cavaliers. Les soldats qui m'ont accompagné commencent déjà à se les disputer avant que je ne tranche le débat en leur expliquant brièvement l'usage qui en sera fait. Ceux qui étaient parvenus à s'imposer maugréent, mais les autres semblent satisfaits bien que l'idée de nous presser ne semble pas les ravir. Je sens qu'il me sera vraiment difficile de les faire avancer, ils n'ont aucune intention de mourir pour qui que ce soit. Cependant, ce qu'ils ne semblent pas comprendre, c'est qu'une fois le siège initié, il nous sera impossible de rallier les autres. Seule la présence du héraut parmi nous pourra peut-être m'aider, par symbolisme, à les forcer à avancer. La tâche sera ardue, mais je ne renoncerai pas. Quelle image j'aurai si je parviens à arriver le premier! Et puis, le héraut pourra témoigner de ma motivation et de mes performances d'officier. Oui, j'ai tout intérêt à ce que nous soyons véloces. Ainsi, quand tous sont revenus, je ne leur laisse pas même le temps de rapiner en paix avant que je n'annonce le départ immédiat. Si certains semblent déjà vouloir s'enfuir, ou pire, se rebeller, ils obtempèrent pourtant tous, non sans quelques protestations et marques de mécontentement. Et ainsi, une colonne se forme, et nous laissons les habitants sortir de leurs tanières pour se lamenter sur les cendres de ce qui fut autrefois leur village.
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Bataille [Version "mobile"]
Fiksi UmumVoici l'histoire d'un homme, ou plutôt les fragments de celles d'une multitude. Toutes sont les catalyseurs de personnalités qui découlent des naissances de ces hommes, comme de leurs vies, de leurs rêves comme de leurs regrets. Tous d'origines diff...