Quand le sang s'écoule trop vite

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Le sang est rouge.
"Une évidence" me direz-vous. Bien sûr que je le sais, je ne suis pas si bête. Même les petits enfants le savent.  Nous avons tous eus, en grandissant, petites et grandes blessures, griffure de minet qui disparaît en quelques jour ou cicatrice de bagarre (ou de chute en vélo pour les moins enragés). Chaque fois, on allait voir la Mère, qui nous rassurait, nous consolait de nos malheurs, ceux qui nous rongeaient quand on ne les dévoilaient pas. Ceux qui ne voulait pas paraitre faibles ou lâches se soignaient seuls, et tamponnaient avec un vieux mouchoir les égratignures en retenant leurs larmes. On regardait bien sûr le doux papier blanc, comme on ne cesse de s'appesantir sur les erreurs passée, et on y retrouvait ces nuances carmins, ces gouttes de roses qui s'enfuyaient de nous si bien que l'on se demandait si tout le sang qu'on avait là, dans notre corps si jeune et déjà abimé, n'allait pas s'écouler et nous laisser derrière. Oui, cela nous faisait vaguement peur, et rien qu'à y penser les larmes durement vaincues réapparaissaient sournoisement. Une frayeur de gosses, qu'on apprit bien vite à ignorer, remplacée même par la curiosité. "Si j'appuie là est-ce-que ça fait mal ?". Finalement, on trouve ça plutôt joli comme couleur, pleine de nuance, et c'est étrange de se dire que ce liquide-là coule dans tous notre corps et circule sans qu'on s'en rende compte, des artères aux veines, pulsé par le coeur, comme le tic-tac régulier d'une horloge à laquelle on ne fait pas attention mais qui marque le temps qui passe et qui trace des ruisseaux sur nos fronts. De l'enfant à l'adolescent, de l'adolescent à l'adulte, de l'adulte au vieillard, nous avons tous plus ou moins la compréhension de ce que c'est et de ce que cela représente pour nous.
Alors pourquoi cette affirmation ? " Le sang est rouge", pas besoin de le répéter, ça n'a aucun sens. Peut être parce que pour la première fois je le vois vraiment, ce sang rouge, bordeau, carmin, écarlate, ce que vous voulez ! Je le sens sur ma peau, des battements horribles me font vibrer le crâne, ma vision s'obscurcit et je sais pourquoi ! Je sais que c'est ce sang, ce sang béni qui me fait vivre, ce sang maudit qui me fuit... J'ai beau le presser de toutes mes forces, des dernières pensées que je réussit à former, il s'en va, il part sans un regard en arrière, il coule le long des pavés froids, une flaque qui s'étend lentement à la lueur des réverbères.
C'est fini.
Je ne me sens pas partir, comme disent les poètes, non moi je meurt, je crève, je disparaît dans le noir, cette obscurité soudaine qui m'engloutit et me terrifie tandis que je ferme mes yeux pour la dernière fois. De moi ne reste qu'une enveloppe vide de sens, dans une ruelle sombre où se perdent à peine quelques rayons de lune. Il ne reste qu'elle, dont les bras croisés sur le flanc tentent encore vainement d'endiguer le flot de la vie qui s'en va.
La dernière image qui me vient alors que je laisse mon corps seul sur le pavé est un souvenir. Je veux faire une surprise à la Mère, je prend en cachette la boite à couture dans le salon et je la monte discrètement dans l'intimité de ma chambre. Je m'acharne, je rage, je trébuche, une aiguille me pique le doigt. Une petite goutte jaillit mais je suis fort. Je lèche une seconde et je recommence.
C'est déjà guéri.

Quand le sang s'écoule trop viteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant