BROKEN FACES

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Quittant pour une heure ma réclusion,

Je baisse la tête pour ne pas attirer l'attention

Sur ce visage qu'Otto Dix aurait pu ajouter

Aux côtés de ses autres « gueules cassées »


Dans les couloirs, tout le monde me connaît,

Je ne provoque presque plus ces mouvements de recul

Les plus avertis ont appris à ne plus m'imposer leur regard de pitié,

Et j'échappe aux derniers réfractaires en m'enfermant dans ma bulle


Je respire enfin à pleins poumons l'air frais

Qui vient caresser, avec une étonnante tendresse,

Mes chairs en tout point dévastées,

Douceur que je m'étonne d'espérer à mon adresse


Comme toujours, j'aperçois cette fille, au même endroit assise

Qui, à chaque fois que j'apparais,

Me scrute de cette manière indécise,

Avant de fuir cette vision pour noircir son papier


Ignorant cet être qui me confronte une fois de plus à ma réalité,

Je m'enfonce toujours plus loin sur ces sentiers,

Et pour la première fois, j'y découvre, bien étonné,

Une petite fille déclarant se prénommer « Destinée »


Je me retiens de lui rire au nez,

Elle qui n'a pas reculé face à l'absence du mien,

Le genre de réactions que je n'ai le droit de rêver

Qu'après m'être abruti de l'eau-de-vie des anciens


Mais aujourd'hui, allez savoir pourquoi

J'ai oublié, comble de l'ironie,

Ma compagne d'oubli

Pour me retrouver avec la petite personne qui marche dans mes pas


Probablement lassée par mon silence,

La gamine, dans toute son innocence,

M'offre sa promesse, en trois questions,

D'effacer de ma vie toute contrition


Amusé par son assurance,

Je décline sa proposition

Mais, finalement agacé d'être fixé par ses yeux immenses,

Je la mets au défi de trouver pire que ma condition


Avec un sourire énigmatique,

Destinée, d'un simple toucher,

Me fait entrevoir nombre de malheurs éclectiques,

Passant en revue guerres, désespoir, morts et bûchers


Secoué par toutes ces visions d'horreur,

Je réalise, en frissonnant de peur,

Que je suis loin d'avoir tout affronté,

Et que je ne sais où les prochaines années vont me mener


Soufflant du bout des lèvres ma terreur,

L'enfant, pour répondre à ma deuxième question,

Me tire par la main avec son savoir profond

Pour me mener à ma tombe, loin de toute splendeur


Pour toujours et à jamais désillusionné,

Je me vois comme dans un songe lui demander

À quoi donc cela servirait d'imposer

Au monde, une gueule et un destin défoncés


Retrouvant enfin le sourire,

La petite fille me fit emprunter le chemin inverse,

Et en voyant que sur son visage son espièglerie perce,

Je ne peux m'empêcher d'entrevoir le pire


Une fois que nous fûmes arrêtés,

Destinée, enfin, daigna s'écarter

Pour me laisser contempler

La jeune fille par maintes fois remarquée


D'un geste de la main, mon petit devin me fit signe d'observer,

Les traits harmonieux, mille fois retracés,

Par la main de la douce rêveuse,

D'un jeune homme à la beauté ravageuse


Je fis remarquer à celle qui édictait mon sort

Que jamais je n'inspirerai à un artiste

L'envie de se mettre en piste

Pour esquisser les contours d'un physique déjà mort


"Tu vois, cette jeune fille est aveugle,

Déclara ma très grande Destinée,

Mais son regard est plus perçant que celui d'un aigle,

Car c'est toujours de l'âme du modèle que celle-ci s'est inspirée


Sa vision, que tu as toujours fui,

A tiré de toi ses plus beaux croquis

Et cerné de ton âme l'immense beauté

Depuis ce jour et à jamais,

Qu'au fond de ton cœur, son nom soit « Estimée »


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