"En ce matin de septembre 1878, comme à mon habitude, je me baladais dans les rues de Londres, je me laissais guider par mon esprit voyageur, allant d'échope en échope, m'arrêtant quelques secondes devant
une bijouterie, quelques minutes devant une horlogerie. Mon dieu ce que j'aimais ces matinées passées à contempler les rues pavées sous le soleil brillant, les statues semblables à des êtres vivants et toutes sortes de choses qui me remplissaient de joie en les voyant. Ce jour là, mon oeil fut attiré par le contenu d'une petite vitrine cristalline. Je m'approchai et y découvris un vaste choix d'objets tous plus originaux les uns que les autres. Comme poussé par une force inconnue, j'entrai dans cette mystérieuse boutique.Le son d'une clochette retentit suivi d'un grincement de porte. Un homme apparu derrière le comptoir, il était plutôt petit et maigre. Ses yeux, semblables à ceux d'une taupe, me fixaient d'un air que je ne saurais décrire. Je balbutiai un "Bonjour" inaudible tant j'étais subjugué par la collection d'antiquités que renfermait ce si petit commerce. Mon regard fut attiré par une petite boîte à musique. Mon coeur se mit à battre, de plus en plus vite, de plus en plus fort. Je tendis ma main, moite et tremblante, vers cette chose aussi fabuleuse que terrifiante. "C'est un bel objet n'est ce pas ?" me chuchota l'homme. Un bel objet ? C'est un bien faible terme. Une femme de grande beauté à la chevelure dorée et aux joues rosées se trouvait à genoux sur un socle parsemé de détails argentés, les mains posées sur le coeur. "Mais elle n'est pas à vendre." Ces mots me firent sortir de ma rêverie. "Mais pourquoi donc ?" L'homme, comme un rat sortant de son trou, passa à l'avant du comptoir. "Cette boîte à musique est maudite, ses anciens propriétaires sont tous devenus fous suite à son acquisition..." C'est impossible, un objet si délicat, si raffiné ne pouvait être maudit. Ma fascination pour elle était bien trop grande. Suite à de nombreuses négociations, l'homme accepta de me la vendre. Euphorique, je rentrai chez moi, ma boîte à musique contre le coeur. Une fois arrivé, je couru m'enfermer dans mon bureau afin d'écouter la mélodie sans être dérangé.
Je tournai la clef trois fois et un son unique et splendide me prit à l'estomac. Je levai le nez et la vit, cette douce jeune femme à la chevelure dorée et aux joues rosées me regardait. Elle me souriait, nous discutâmes jusqu'à l'aube. Chaque jour je tournais la petite clef de la boîte à musique. Chaque moment passé aux côté de ma bien aimée égayait mes journées. Nous dansions, chantions et riions ensembles. Je savais ce que je devais faire, tout arrêter mais au lieu de cela, je continuais de l'écouter, cette douce mélodie...Elle avait mon coeur entre ses mains, avais-je le sien entre les miennes ?
Je décidai de l'écouter encore une fois, je tournai la clef trois fois mais...quelque chose n'allait pas, je le compris lorsque le son, froid et triste du mécanisme retentit. La boîte à musique était cassée...C'est là que tout bascula. Soudainement, les bougies s'éteignirent. Un long frisson me traversa et je fus pris de violents vertiges. Un gémissement se fit entendre, je me retournai haletant et muet. Je la vis, ma Vénus, ma muse, ma bien aimée, pâle et sans vie. Ses cheveux gris, son visage blanchi. Tétanisé, je ne pouvais détourner les yeux de son corps, maigre et tremblant. Ses vêtements, semblables à ceux d'une grisette, étaient en lambeaux. Elle s'approchait de moi, toujours plus près et je sentis son souffle froid sur mon visage. Enfin, tout s'arrêta, dans un dernier hurlement, elle disparut dans la boîte à musique que je tenais contre mon coeur. Je tombait au sol, inconscient, la boîte roula sous mon bureau.
Croyez-moi, je ne suis pas fou, cette mélodie, je l'entends la nuit, je ne dors plus, je ne mange plus, je ne sors plus. L'homme avait raison, cette boîte à musique était maudite..."
Ici s'achève le recit de Monsieur Cecil Whitman, jeune homme de 20 ans atteint de folie, mes équipiers l'ont retrouvés hurlant et tapant de toutes ses forces à la porte d'une petite boutique du centre ville la semaine dernière. Si je devais donner une morale à ses écrits, ce serait celle-ci sans hésiter: "Tout comme la mélodie d'une boîte à musique, la vie a une fin. À force de rêver et de flâner, nous risquons de passer à côté..."
Commissaire Audric Richardson,
agent en charge de cette affaire.Ps: Merci à OctoChan pour le magnifique dessin ci dessus...