18. Préparatifs

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L'aire d'arrimage où notre vaisseau reposait maintenant et d'où sortait une procession de cubes d'infomatière était à elle seule plus vaste que tous les spatioports que j'avais pu voir. Des immenses astrocargos, dont le ventre ouvert déversait des flots de machines d'assaut et de droïdes de combat récemment usinés, s'élevaient au-dessus de la flotte diverse. Une multitude de grands vaisseaux s'étalait à perte de vue sur les pistes où se pressaient des opérateurs d'entretien. Partout filaient des glisseurs chargés de containers ou transportant des groupes déconnectés de robots-mécanos prêts à intervenir. Sous les astronefs, toutes les phases d'appareillage étaient accomplies dans une parfaite coordination par les équipes de droïdes. Seuls quelques Jäfflins, d'extrêmement minutieux et orgueilleux petits êtres, chefs mécaniciens qui supervisaient les opérations, se disputaient parfois entre eux en un dialecte tapageur, agitant les nombreux appendices brachiaux qui ornaient leur corps bedonnant.

Rassemblés autour des points de contrôle, quantité de représentants d'espèces issues des galaxies les plus lointaines échangeaient paisiblement. Ici, un équipage de Khāllati palabrait avec des Soeroans ; là, un solide Bantrosh mimait visiblement ses exploits guerriers devant un auditoire comptant quelques Deewāks, Mutt-draüls et autres Surukks impressionnés. Plus loin encore un groupe de pilotes d'intercepteurs tleïssites et des chasseurs « têtes noires », arrogants et baragouinants, rivalisaient en comparant leurs prouesses. Toute la fine fleur de la chevalerie intergalactique semblait être réunie ici.

L'atmosphère fraternelle que dégageaient ces attroupements surprenait par sa bonne humeur face aux colonnes d'exterminateurs métalliques qui défilaient en cliquetant.

Nous prîmes place sur un disque élévateur qui nous propulsa une centaine de mètres au-dessus de l'agitation qui animait le spatioport.

Alors que nous longions une longue passerelle, Imarudh ne quittait pas des yeux le convoi de cubes qui disparaissait dans un conduit à destination du « ventre » d'un Mnémorgopode géant qui dormait dans les tréfonds de la station. Celui-ci allait consciencieusement digérer toutes ces informations pour produire, sans erreur de calcul possible, la meilleure stratégie à tenir pour les régions cosmiques concernées.

Derrière un sas massif qui s'ouvrit devant nous s'éleva un vaste hall où s'affairaient des droïdes d'accueil qui prenaient en charge équipage et matériel.

La voix étrange, un souffle éteint et sépulcral, me fit faire volte-face :

— Imarudh. La paix soit sur toi.

— La paix en toute chose, Sär Depp.

Je n'avais pas même perçu l'ombre de l'être qui maintenant échangeait le salut avec Imarudh. Il était de coutume parfois entre Ujhaï de jouer à se surprendre.

Les deux flammes bleues qui luisaient au fond des cavités de l'exosquelette du Bajdath me prêtèrent attention une fraction de seconde.

— L'infomatière que tu as convoyé va être isolée sous fluide avant d'être analysée par le Penseur. Cela fait partie des nouvelles directives, émit la créature aussi haute que le Semahad.

— Ces précautions sont plus que nécessaires, Sär Depp. Plus aucun lieu n'est sûr à présent... pas même Borosis.

Le Bajdath acquiesça silencieusement.

— Où en est-on ? demanda Imarudh.

— Notre avant-poste qui avait été découvert a fini par tomber. L'ennemi est parvenu à soudoyer des autochtones. Ces traîtres les ont guidés jusqu'au foyer principal du bouclier.

— Y a-t-il des survivants ?

Le Bajdath garda un silence qui ne laissa rien présager de bon :

— Une seule escouade, à bord de chasseurs ; mais c'est une ruse : des vaisseaux espions similoïdes sont après elle. Elle a été détournée vers une lune avoisinante où elle se repliera sur une ancienne base. Leur seul espoir de fuir est de remettre en fonction un navire hybride.

— Qui est à leur tête ? Le Bajdath émit une sorte de plainte sombre :

— ... Lurian.

Imarudh serra le poing. Je devinais qu'une blessure imperceptible venait de s'ouvrir en lui.

— A-t-on reçu d'eux une transmission quelconque ?

— Aucun des intercepteurs n'a émis depuis... ils respectent la procédure.

Imarudh s'absorba profondément et tenta de voir :

— ... La ruse des similoïdes peut être totale. As-tu avec toi leur dernière émission ?

Sär Depp fit un signe apaisant de la main :

— Leur fréquence vocale a été analysée. Nous sommes certains que ce sont eux.

— Sans notre aide, ils sont perdus. Nous ne pouvons pas abandonner Lurian... ni aucun des autres.

Le puissant Bajdath râla férocement :

— D'autres pensent comme toi. Une équipe de soutien va être formée. Es-tu des nôtres, Imarudh ?

— Ce sera un honneur, Sär Depp.

Le moment me parut opportun pour manifester de ma présence :

— Je peux me joindre à vous moi aussi, proposai-je avec assurance.

Le Bajdath me considéra avec curiosité. Il se pencha vers moi et vint me humer dans un souffle rauque :

— On dirait que le petit humain qui t'accompagne a parlé, Imarudh, exhala-t-il, étonné.

— Sär Depp, voici Jaadhur... mon fils.

Il se redressa sans me quitter de ses yeux qui brûlaient d'un feu glacial :

— Le courage n'a pas l'air de te manquer, fils d'Imarudh. Heureux de te connaître.

— Très heureux moi aussi, répondis-je du ton le plus cordial que l'on pouvait adopter face à une créature de ce type.

— Nous t'aurions bien embarqué avec nous mais – il esquissa un air quelque peu dédaigneux – tu as encore l'odeur des sejji, souffla-t-il sourdement.

— Il part pour Adalis, coupa Imarudh. Un guide va le conduire à l'épreuve.





Mnémorgopodes : penseurs géants invertébrés originaires des déserts d'Abbeba, situés sur la planète Memthā, nébuleuse de Kizē. Les Mnémorgopodes broient le minerai métamorphique pour en interpréter les cryptages. Ils sont considérés comme les penseurs les plus puissants.

"Sejji" : péjoratif. Nom que les Ujhaï donnent aux novices.


Les Forêts d'AcoraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant