La nouvelle me parvint un beau matin de Sextilis. Dehors, les fleurs répandaient sur le domaine leurs arômes entêtants. Un oisillon pépiait inlassablement la même mélodie. La trop forte chaleur m'avait rendue malade : alitée, je rédigeais des lettres de courtoisie à toute la noblesse des environs.
Je me souviens encore de ce matin-là. Comme chaque été, j'avais fait fermer les volets pour retenir un peu la fraîcheur de la nuit. Comme chaque été, il n'avait fallu qu'une heure à ma chambre pour redevenir une fournaise. J'avais repoussé mes draps au pied du lit et ma chemise de nuit me collait à la peau de façon obscène. Accrochée au plafond, une boule de feumage jetait sur la pièce ses rayons blancs.
J'avais envie de vomir. Il n'y avait là rien d'exceptionnel, hélas. Dès que les assauts du printemps venaient libérer les lacs de leur tapis de glace, mes nausées revenaient – à croire que mon corps portait à sa manière le deuil de l'hiver.
J'étais malade, barbouillée et en sueur. Cette journée commence mal, avais-je pensé.
C'est pénible à admettre mais, des décennies plus tard, j'ignore toujours si j'eus raison.
Je grattais le parchemin depuis une moitié d'hora quand le tintement familier d'une clochette retentit à la porte. Ecartant mon matériel de calligraphie, je remontai le drap brodé sur ma personne.
— Entrez ! ordonnai-je d'une voix éraillée par plusieurs horae de sommeil.
La porte s'ouvrit sans un grincement. Ma gouvernante entra et s'inclina à la taille – un exploit, au vu du corset ouvragé qui lui enserrait le buste. Quand elle se redressa, je souhaitai presque qu'elle fut restée penchée : la vue de son visage parfait, que les ans commençaient à peine à fâner, suscitait en moi une douleur presque physique. Or j'avais bien assez de douleurs pour me passer d'un supplément.
— Mademoiselle, vous devriez ouvrir vos fenêtres, me gourmanda-t-elle. Vous vous faites du mal à respirer cet air vicié.
Cette femme avait changé mes langes, me répétai-je en plaquant un sourire poli sur mes lèvres. Il était vain d'espérer qu'un jour, elle réalise que je n'avais plus deux ans.
— J'y songerai, Valentina, dis-je plutôt.
La gouvernante plissa les yeux, pas dupe pour un sou. Je la sentis hésiter, puis renoncer : elle savait reconnaître une bataille perdue d'avance. Au lieu de quoi, elle agita une épaisse enveloppe devant elle avec un sourire mielleux.
— Regardez ce que je vous amène, Mademoiselle ! Une lettre de Madame votre mère, venue tout droit de la cour. Quand j'ai vu cela, je n'ai pu m'empêcher de vous l'apporter moi-même. Vous devez être si heureuse d'avoir des nouvelles de la comtesse douairière !
Voilà qui expliquait pourquoi mon arrogante domestique s'était abaissée à apporter le courrier. Elle laissait d'ordinaire cette tâche à la flopée de servantes qui briquaient la demeure.
Je tendis la main et saisis l'enveloppe.
— Je suis ravie, déclarai-je.
Absolument extatique. Je gardai les yeux rivés sur l'enveloppe et le visage neutre. Inutile de la regarder pour savoir que le sourire de la gouvernante venait de gagner une ombre de cruauté. Nous savions toutes deux que moins j'entendais parler de ma mère, mieux je me portais.
Valentina resta là, à m'observer comme un aigle aux aguets.
— Allons, Mademoiselle, n'allez-vous pas l'ouvrir ?
— Laissez-moi une seconde, carina.
L'enveloppe avait ce grain épais commun aux papiers d'excellente qualité. Je vois que Mère fait bon usage de l'argent du domaine, songeai-je non sans amertume. Comme d'ordinaire, l'adresse n'était pas écrite de sa main. Les courbes des lettres étaient plus prononcées que dans la dernière missive qu'elle m'avait envoyée : elle avait dû changer de scribe.
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Hériter
FantasyA la mort de Pénélope, la mère qu'elle déteste, la comtesse Eredith devient seule maîtresse d'Orofar, un domaine montagneux perdu aux confins du royaume Cian. Mais ses rêves d'une vie dévote et reculée se brisent quand une missive lui parvient : la...