Chapitre 1 - Partie 2

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Je me souviens des reportages sur la vaccination, diffusés à la télévision, que Paul et moi regardions avec intérêt le soir. Même les Pygmées avaient eut droit à leur injection. Pour une fois, on pouvait voir l'humanité soudée, tout le monde marcher dans la même direction, se battant contre le même ennemi.

L'espoir refit peu à peu surface, les Hommes reprenaient peu à peu le sourire. Je vis enfin un avenir pour Paul et moi en lieu et place d'une fin tragique. Combien de fois m'étais-je imaginée tomber malade et mourir sur le plancher du salon, laissant mon petit frère déambuler seul dans la maison avec un cadavre contaminé pour unique compagnie ?

Vacciner la Terre tout entière prit du temps, près d'un mois. Je cessai d'avoir peur lorsque nous reçûmes notre injection tous les deux. Nous fûmes dans les premiers à recevoir le précieux vaccin, contrant par la même occasion l'épidémie qui avait infecté notre famille. Hélas, il était déjà trop tard pour mes parents. Je ne compris jamais pourquoi les autorités n'avaient pas réagi avant ? Pourquoi, s'il fallait si peu de temps pour concevoir un vaccin, ils avaient mis tant de temps pour prendre la décision d'en chercher un ? À partir de quel seuil le nombre de morts était-il "supportable" à leurs yeux ?

Il paraît qu'à une époque, pas si éloignée, on s'horrifiait dés qu'une grippe faisait quatre ou cinq morts dans un même pays... Ce que j'aurais aimé naître en ce temps-là.

Un mois après l'administration du vaccin, soit 13 mois après son apparition, le nombre de décès dû à la grippe X devint nul et le virus disparut de la surface de la Terre. Nous venions, ensemble, d'éradiquer le fléau. Hélas, un autre désastre s'abattit sur nos pauvres têtes déjà fatiguées.

Les effets secondaires du vaccin ne se firent pas attendre et déjà plusieurs personnes trouvèrent la mort à cause d'eux. L'injection miracle fit plus de mal encore que le virus lui-même. Quelque chose, à l'intérieur, digérait les anticorps, les cellules et même les tissus de certains d'entre nous, entraînant inévitablement la mort dans d'atroces souffrances. La Déveine, comme on appelait le vaccin "miracle", pouvait vous ronger pendant des mois avant de vous tuer.

Soudain, il n'y eut plus de reportages à la télévision, juste des films déjà vus, des jeux télé qui tournaient en boucle sur toutes les chaînes. Nous étions définitivement coupés du monde, on ne nous tenait plus au courant de rien. Nous pouvions, en revanche, désormais sortir sans craindre de tomber malades. La Déveine nous avait au moins protégés de ça. Il n'y avait plus qu'à attendre de voir si le remède allait faire notre fin ou non.

L'entraide se fit assez naturellement parmi les survivants. Je vivais dans une toute petite ville de mille cinq cent habitants déjà bien éprouvée par les morts. Il y en avait encore tous les jours et les autorités jouaient à l'autruche en nous laissant dans l'ignorance la plus totale, nous laissant livrés à nous-même. Un jour, un petit bandeau jaune se mit à défiler en bas de l'écran de notre télévision. Il indiquait en permanence le nombre d'êtres Humains sur la planète - chiffre étonnement élevé de 8 milliards - et chaque nouvelle naissance ponctuée par l'apparition d'un petit smiley.

Les survivants comme moi parlaient beaucoup et disaient que tout ça c'était de la foutaise, qu'on se moquait de nous et qu'on allait tous "crever comme des rats". Je le compris par moi-même quand je m'aperçus que des personnes mourraient encore tous les jours tandis que le compteur sur l'écran de la télévision tentait de se faire de plus en plus rassurant.

Nous ne fûmes bientôt plus qu'une poignée dans notre propre ville, trois cent à tout casser. Parmi eux, il y avait mon ancien professeur de lettres, de l'époque où il y avait encore de l'école, Monsieur Charles Acido. Il était devenu un ami pour moi et Paul et nous passions très souvent le voir. Sa compagnie et sa bonne humeur contagieuse étaient une bénédiction. Paul et lui s'étaient même mis en tête de faire une cabane dans un arbre bordant le jardin, derrière la maison, pas très loin des tombes des parents. C'est bien emmitouflé dans leur manteau qu'ils passaient bon nombres d'heures à sa confection.

Il n'y avait aucun mal à trouver une occupation, aussi futile soit elle, plutôt que de faire comme moi et d'attendre avec angoisse de savoir si la Déveine vous tuerait ou non. Il n'y avait aucune règle de ce côté-là. Certains en mourraient, d'autre non. Il y en avait qui étaient morts un mois après son injection, d'autres jusqu'à dix ou onze mois après.

Deux ans après le début de la grippe X, les morts ont ralenti jusqu'à cesser presque totalement. Quatre-vingts pourcent de la population s'est éteinte, pour la plupart à cause de la Déveine. Mon petit Paul ne sera pas passé au travers, il repose maintenant au pied de sa cabane dans les arbres, aux côtés de mes parents. Monsieur Acido est toujours en vie et tente chaque jour de réchauffer un peu mon cœur par sa présence. L'Homme est maintenant une espèce en voie d'extinction.


S.A.MOù les histoires vivent. Découvrez maintenant