Trois ans après le commencement, nous errons dans les rues comme après une guerre. Nous sommes anéantis, nous n'avons plus rien, avons perdu tous les être qui nous étaient chers. Les survivants, comme moi, ne sont plus que l'ombre d'eux même. Nous vivons dorénavant simplement. La grande majorité des maisons sont abandonnées, les magasins déjà pillés depuis longtemps, il n'y a plus d'électricité qu'une ou deux heures par jour et plus aucun système bancaire.
Vous me trouvez, sans aucun doute, un peu froide de vous raconter tout ça sans sourciller, sans pleurer, mais vous n'avez pas vécu ce que j'ai vécu. À dix-huit ans maintenant, j'ai été forcée de devenir adulte plus tôt que prévu, je n'avais pas le droit de baisser les bras, pas le droit d'abandonner.
Aujourd'hui toute seule, ma vie n'est ponctuée que par l'attente. Bien que les morts aient cessé, nous gardons tous anxieusement à l'esprit que la Déveine se trouve encore dans nos veines et qu'un jour, peut-être, elle se réveillera pour en finir avec l'espèce humaine. Je m'étais mise en tête que nous vivions depuis un an une sorte de pause destinée à mieux nous achever par la suite. Personne ne dormait d'un rêve paisible la nuit, personne ne souriait lorsqu'il partait à la recherche d'un peu de nourriture. Notre grande civilité se dégradait en même temps que la peur grandissait en nous. L'Homme redevenait une bête avec pour seul objectif la survie.
Monsieur Acido m'avait proposer de venir habiter chez lui, "c'est plus prudent pour une jeune fille de ton âge", avait-il dit. C'est vrai, mais je m'y refusais. Ma famille était ici, je resterai ici avec eux. Je ne pouvais pas les abandonner, c'était au-dessus de mes forces. Il m'avait donc fait cadeau d'un de ses revolvers en me demandant de lui promettre de m'en servir si quelqu'un tentait de me faire du mal.
Je ne vais pas vous mentir, la présence de cette arme me rassurait un peu, mais me dérangeait en même temps. Nous luttions déjà pour notre survie alors s'il fallait en plus s'éliminer les uns les autres que restait-il de notre humanité ? Un jour, j'eus même pensé l'utiliser contre moi, pour mettre fin à mes jours, me permettre de retrouver ma famille, de ne plus avoir peur, de ne plus faire de cauchemars, mais je n'en eus pas le courage. Maman et papa ne m'avaient pas mis au monde pour que je finisse comme ça. Ils auraient voulu que je m'accroche à la vie de toutes mes forces, que je me batte jusqu'à la fin, jusqu'à ce qu'il n'y ait vraiment plus aucun espoir.
Ma personnalité était à l'image de ces longues journées froides où je devais parcourir la forêt pour subvenir à mes besoins. Je cueillais des champignons, relevais les pièges à lapin, ramassai des orties pour faire des soupes et faisais des réserves de petit-bois pour allumer le feu dans la cheminée le soir. Toute notion de plaisir s'était évaporée avec le reste. Les quelques friandises et gâteaux au chocolat qu'il me restait de notre ancienne vie, je les avais donnés à Paul quelques jours avant qu'il ne m'abandonne. Ça lui avait fait plaisir et à moi encore plus.
Le plus difficile aujourd'hui, c'est encore la nuit. Quand vous vous retrouvez seule et qu'à l'extérieur des personnes malveillantes rodent. Il n'y a plus de justice, plus de lois mis à part celle du plus fort et plus personnes pour la faire respecter. Le problème, ce ne sont pas les habitants de ma ville. Nous sommes peu et nous serrons les coudes, l'entraide est tout ce qu'il nous reste. Non, le plus dur, ce sont les rôdeurs, ceux qui viennent d'ailleurs et qui avancent de ville en ville pour se servir directement chez nous. Pour ça, ils n'hésitent pas à tuer, d'où l'arme cachée sous mon oreiller.
Il n'y a rien à faire, quoi que vous fassiez, il est quasiment impossible de trouver le sommeil la nuit. Quand vous ne restez pas éveillé à cause des rôdeurs, ce sont les cauchemars qui vous maintiennent debout. Tous les soirs, je me prépare à rester alerte toute la nuit, préférant dormir quelques heures durant la journée quand je suis le moins à la merci des profiteurs et des mauvais rêves. Comme à chaque fois, j'attendrais que le jour se lève en lisant un livre - livre emprunté dans une maison vidée de ses occupants - au coin d'un feu, le corps enroulé dans une bonne couverture.
En règle générale, je ne lisais pas de romans de fictions. On lit ça, me disais-je, quand on veut échapper quelque temps à une vie d'une affreuse banalité et qu'on a besoin de se sentir sur le fil du rasoir. Moi, je n'avais pas besoin d'épicer mon existence avec ce genre d'histoires. Ce que j'appréciais par-dessus tout, en ce moment, c'était les récits simples qui me remémoraient avec nostalgie la vie d'avant, quand la grippe X n'existait pas encore, celle où le seul problème des filles de mon âge était de trouver l'homme de sa vie, le grand amour. L'amour, voilà une chose à laquelle je n'avais pas songé depuis trois ans.
Je me préparais pour la nuit en fermant à double tour portes et fenêtres du rez-de-chaussée. Les ouvertures donnant sur le premier étage étaient constamment closes pour une bonne raison. La maison familiale était parfaite lorsque nous y vivions tous ensemble, mais maintenant bon nombre de ces pièces n'avaient plus leur utilité. La chambre de mes parents, celle de Paul, autant de pièces qui me rappelaient de mauvais souvenirs. Tous ses coins sombres et froids me donnaient des frissons. Je n'avais pas dormi dans ma chambre, depuis la mort de Paul. Le noir me paralysait.
J'avais condamné l'étage comprenant ma chambre, celle de mes parents et de Paul et une des salles de bains, dans un souci d'économie. Couper assez de bois pour chauffer toute la maison était une perte de temps et d'énergie dont je n'avais pas besoin par les temps qui courent. Monsieur Acido m'avait aidé à descendre mon lit dans le salon, là où je vivais maintenant. Je me contentais d'un espace plus petit et plus sécurisant par la même occasion. Ici, j'avais tout ce dont j'avais besoin à porté de main. La cuisine était dans la pièce d'à côté qui elle-même donnait sur le jardin de derrière.
Après avoir avalé un bouillon de champignons bien chaud pour le dîner, je me rendis à la cuisine pour aller chercher les nouveaux livres que Monsieur Acido avait déniché pour moi le jour même et que j'avais déposé sur le plan de travail. En farfouillant parmi eux pour choisir lequel allait me tenir compagnie durant la nuit, je croisai mon reflet dans la vitre devant moi. Depuis combien de temps n'avais-je pas vu mon visage ?

VOUS LISEZ
S.A.M
Science FictionEn 2050, le monde est soudainement ravagé par une nouvelle mutation du virus de la grippe que tout le monde pense inoffensif. Sans même qu'ils ne s'en aperçoivent, les Hommes se retrouvent victimes d'une pandémie et nomment le virus "la grippe X". P...