Double image

1

Je regarde mon portable discrètement pendant le cours de Physique-chimie. Plus que dix minutes. Je m'installe confortablement sur ma chaise, posant un regard vide sur le tableau. Les mots du professeur se confondent et ne forment plus qu'un discours incompréhensible. Je lance un regard à Manon, en faisant mine de dormir. Elle glousse et m'indique qu'il ne reste maintenant que huit minutes. J'étire un sourire.

Je parcours la salle de classe du regard, cherchant quelque chose de plus intéressant que le cours lui-même. Mes yeux se posent sur la nouvelle. Elle est seule dans son coin. Je sais qu'être nouveau, ce  n'est pas facile, mais ça fait quand même trois semaines qu'elle est là et elle n'a toujours pas ouvert la bouche. 

Faut dire qu'elle est vraiment bizarre. Peut-être qu'elle est un peu attardée, mentalement. La prof principale nous a dit de l'inclure un peu. Sois disant, il faut accepter les différences, bla, bla, bla...Mais bon, avouons qu'elle ne fait pas trop d'efforts. C'est vrai! Elle a de vielles Geox, non, vraiment hyper moches. A scratchs. Ce que portaient les garçons  à la maternelle. Et puis... Bon assez parlé d'elle. 

Je pousse un long, très long soupir si bien que je crois que le professeur m'a entendue. Et enfin la sonnerie annonce l'heure de la récréation.  Nous sortons dans un tohu-bohu complet de cris et de rires. Je cours vers Manon, Lou et Océane. Ma petite bande à moi. 

"- Oula, heureusement que c'est la récré, je crois que j'ai bien faillit mourir, lançais-je, en haussant les sourcils.

- Ouais, on y comprends vraiment rien, continue Manon. Qui a compris parmi nous?"

Lou ne lève pas la main, alors qu'elle est super douée en sciences, c'est la meilleure en S.V.T et en Physique-Chimie. C'est comme ça, dans notre collège, avoir de bonnes notes fait tout de suite "intellos" et provoque les moqueries des autres. 

Nous dévalons les escaliers afin de vite rejoindre la cours de récré. 

La cours est un brouhaha de rires, de cris et de bavardages. Je me souviens de moi, en sixième, mon premier jour au collège. J'étais perdue, dans cette vision apocalyptique de chahut. Comprenez, notre collège est énorme alors quand tout le monde sort des salles de classes, ça fait pas mal de monde. Malgré ma première impression il y a deux ans, j'ai tout de suite compris que la récréation était aussi le paradis des collégiens. Papoter des derniers scoop, échanger des bonbons, tout ça fait partie de notre quotidien. Un peu de détente dans une journée de cours qui s'enchaîne sans s'arrêter. Souvent  il fait assez froid dehors, alors on reste dans le préau, assises sur les tables à parler de tout et n'importe quoi. 

"Et! lance Manon. Vous savez quoi? Y'a Christine, elle a apporté un Thermos de thé au collège! C'est trop la honte!"

Nous nous esclaffons pendant que Manon l'imite en train de boire son thé en levant le petit doigt. Elle fait comme si elle était vielle et avait des rhumatismes. C'est vrai qu'elle est drôle, et puis ce n'est pas méchant. En plus, elle a raison, c'est trop la honte d'emmener son thé à l'école.

Lou propose de sortir un peu, histoire de prendre l'air avant de retourner en cours. Manon la raille  en disant qu'elle est ringarde et tout le monde se tait. Mais finalement nous sortons dans la cours malgré les protestations de Manon. 

Nous tombons nez à nez à Inaya, la nouvelle.  Elle rougit tout de suite et murmure des mots incompréhensible dans sa barbe. Je tire la manche de Manon, lui lançant un regard du genre, "bon, viens, on y va, on va pas y rester des heures".

Mais Manon ne cille pas. Elle regarde Inaya dans les yeux, d'un air dur. Je lève les yeux au ciel. Nous sommes toutes assez mal à l'aise, enfin  pas Manon bien sûr. 

"-Bon, la nouvelle, on va être franches, fait Manon. Tu vas pas rester muette toute l'année. Déjà avec tes vielles godasses, ça va pas. Ensuite décoince toi là, c'est soûlant. Vous êtes pas d'accord les filles?

On acquiesce, murmure quelques "ouais". Je soupire en levant les yeux au ciel. Je sais pas trop pourquoi on s'attarde ici. Cette fille est super bizarre, on peut pas vraiment faire la conversation avec elle de toute façon. En tout cas, Inaya n'a pas l'air d'avoir tout compris, mais elle tremble . 

Manon pousse un soupire exaspéré. Elle regarde la nouvelle en haussant un sourcils  -je n'ait jamais sût comment elle arrivait à faire ça- et la pousse pour passer dans la cour. Celle-ci s'écarte vivement, apeurée, et se faufile  vite dans le préau.