Chapitre I

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Le Docteur s'avançait lentement dans les rues pavées de Paris. La lune était déjà haute dans le ciel et le bruit de ses pas sur les pavés résonnait dans la ville sombre, perçant le silence de la nuit. Le docteur, c'était le nom qu'il se donnait. Ce n'était même pas son vrai métier, à vrai dire : Jack Lopin était cordonnier. Cependant, lorsque la nuit tombait, il enfilait son masque. Il avait reçu ce masque par son père qui, lui, était docteur, plus précisément un docteur de peste. C'était ces masques blanc en forme de bec de corbeau, avec deux petits orifices en verre crasseux, que les docteurs portaient lors des périodes de pestes. Bien sur, plus personne ne portait ce genre de masque aujourd'hui. Personne... sauf Le Docteur. Bien qu'il n'aimait pas son père, il aimait ce masque. Son masque. Lors de ses sorties nocturnes, il portait également un grand manteau noir qui lui descendait jusqu'aux genoux, qu'il avait acheté par ses propres moyens cette fois-ci, ainsi qu'un chapeau haut de forme. Son accoutrement se terminait avec une paire de gants noirs, un pantalon noir également et une paire de chaussures. Il transportait également une petite mallette de bois, dont il était la seule personne vivante à en connaître le contenu.

Jack Lopin était un homme d'une cinquantaine d'année. Il avait des cheveux légèrement frisés, gras et gris qui lui tombaient sur la nuque. Il avait des yeux de couleur bleu givré enfoncés dans ses orbites avec l'âge.Il avait également une barbe mal rasée mais ne se laissait pas pousser la moustache. Il avait le regard toujours froid, sévère et adoptait une allure droite qui allait de paire avec ce visage de marbre. Sa voix était faible mais distincte et il prononçait toujours tous les mots avec une parfaite prononciation, détachant bien les syllabes.

À cause de son attitude distante, il n'y avais que très peu de personnes qui allaient demander de ses services. Il n'y avait d'ailleurs jamais eu deux fois la même personne qui entrait dans sa boutique. Les client n'entraient dans sa boutique que par défaut et il ne s'y attardaient jamais. Jack faisait pourtant du bon travail : il maniait son jeu de tranchets avec aisance et grâce et toutes ses commandes étaient toujours finies en moins d'une heure et il s'engageait à rapporter les chaussures chez son propriétaire une fois qu'il avait fini. Ses horaires étaient de 10 heures à 18 heures, 7 jours sur 7.Il était seul dans son atelier mais il n'avait besoin ni envie de personne d'autre à ses côtés. Jack n'avait pas de femme ni de compagne. Toute sa famille est morte depuis des années déjà. Il était un homme solitaire et aimait sa vie comme elle était. Il n'était ni heureux, ni malheureux : juste satisfait de sa vie diurne.

Jack entretenait un petit carnet qu'il emportait partout avec lui : À chaque fois qu'un client venait le voir, il écrivais ses prénom, nom et adresse. Il ne consultait jamais plus de deux fois un nom dans sa vie : la première fois, pour lui rendre ses chaussures. La deuxième fois, c'est pour Le Docteur. Le Docteur sort toujours la nuit du 2 au 3 mais il fait cela tous les mois. Si Jack est juste satisfait de sa vie de tous les jours, il est en revanche heureux de sa vie nocturne. Un homme n'as-t-il pas le droit de s'offrir un petit plaisir de temps en temps, dans la vie ? Effectivement, Le Docteur et Jack Lopin sont une personne très ponctuelle, avec des habitudes précises et sans personne pour venir les déranger. Son quotidien est réglé comme du papier à musique. Cette nuit donc, du2 au 3 janvier 1749, Le Docteur va, comme depuis une trentaine d'année déjà, savourer sa nuit. Chaque mois, chaque année,l'expérience de faire croît encore et toujours, rendant la prochaine nuit toujours plus fabuleuse.

Le Docteur a consulté son carnet avant de partir. Les rues sont vides, il n'y a que la lune pour éclairer les ruelles étroites de la capitale. Le Docteur s'arrête alors devant la maison de son sixième patient de la nuit.Une patiente, cette fois-ci. Il ouvre la porte – elle n'est pas fermée. Peu de personnes ferment leur porte mais Le Docteur a tout de même prévu dans sa poche un crochet pour déverrouiller les portes éventuellement fermées de ses futurs patients. Il entre dans la maison plongée dans le noir sans un bruit et attends de s'accoutumer à l'obscurité. Il aperçoit plusieurs portes ouvertes et distingue le salon en face de lui, éclairé par la lueur de la lune à travers les fenêtres. Des escaliers sont présents à sa droite. Il les monte, toujours sans ne faire aucun bruit et arrive devant la chambre de la femme, dont la porte est ouverte, laissant voir une femme d'une trentaine d'année dormir paisiblement dans son lit. Mademoiselle Emma Sottope. Il s'avance et pose sa valise sur le sol. Il l'ouvre silencieusement, laissant apparaître alors tout un assortiment de matériel médical. Tout y est : scalpel, pinces,mouchoirs, flacons vides et pleins, baguette de bois, couteau... Le Docteur verse d'abord sur un mouchoir quelques gouttes d'éther avant de le rouler en boule et de l'introduire dans la bouche de la patiente et de la boucher avec sa main. La victime ouvre alors les yeux. Le Docteur lit dans ses yeux d'abord de l'étonnement puis de la surprise. Après avoir vu l'homme au masque présent devant elle,la surprise de ses yeux laisse place à de la peur puis à de la terreur lorsque Le Docteur fait scintiller une paire de ciseaux dans la pénombre. Emma essaye de retirer de sa bouche la main du docteur en poussant des cris étouffés par le gant mais l'éther commence déjà à faire effet et la main sur sa bouche appuie beaucoup trop fort. Ses forces l'abandonnent peu à peu mais Le Docteur la force à garder les yeux ouvert tandis qu'il brandit la paire de ciseau, les yeux exorbités, un sourire dément collé sur son visage derrière son masque, en prononçant sa fameuse phrase à voix basse :« Laisse Le Docteur t'osculter... ».

À peine 5 minutes plus tard, Le Docteur a déjà fini son travail. Il se dépêche d'essuyer les taches écarlates sur son habit car elles sont difficiles à enlever une fois sèches et de nettoyer avec un mouchoir autrefois blanc devenu pourpre à cause des opérations la paire de ciseaux. Il vas alors chercher tous les bijoux de la défunte ainsi que son argent : même s'il fait se travail principalement par plaisir, pourquoi ne pas associer l'utile à l'agréable ?Mademoiselle Sottope était issue d'une famille riche, rien que la richesse de la maison et la qualité de ses vêtements le montre. Le Docteur prends alors une bourse pour mettre à l'intérieur tous les bijoux et l'argent puis la glisse dans sa valise. Il referme la mallette et descends puis ferme la porte. Le Docteur va alors rentrer chez lui et redevenir Jack Lopin : Mademoiselle Sottope était sa dernière patiente de la nuit. Au loin, le clocher sonne 4 heures du matin.

Jack se réveille dans son lit. Il regarde le placard dans lequel sont rangés ses affaires de la nuit et laisse un sourire se dessiner sur son visage. Il est heureux. Un peu fatigué, mais heureux. Il se lève, s'habille puis va chercher dans le placard sa valise. Il prends une dizaine de bourses pleines à craquer et les posent sur son chevet. Il observe alors l'horloge qu'il a acheté avec son salaire obtenu lors de son travail nocturne. Elle indique 9h30. Sa boutique va bientôt ouvrir et il faut qu'il soit à l'heure ; il serait dommage de perdre un client... Jack se prépare donc. Il ira chez le bijoutier demain matin afin d'échanger les bijoux volés contre de l'argent.

 La porte de la boutique s'ouvre et dans la tête de Jack, Le Docteur sourit. Il prends son carnet en demandant à son premier patient du mois se trouvant devant lui : « Quel est votre nom ? ».

Le DocteurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant