Chapitre II

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Jack se leva. On était le mercredi 8 janvier 1749 et il était entre 8:00 et 8:30, comme l'indiquait sa pendule. Il alla à sa fenêtre afin de regarder Paris. Le soleil se levait, illuminant de son flamboyant éclat les toits des maisons. Il se rendit compte qu'aujourd'hui encore, il avait regardé la porte de son armoire. Il regardait la porte tous les matins, dès qu'il se levait, depuis sa nuit chez Mlle Sottope et ses autres patients. Il aimait appeler les personnes à qui il rendait visite ses patients, parce qu'il trouvait que le terme de "victime" était trop peu noble. Il réfléchit un moment puis se dit qu'il avait envie de tuer. Il ne s'était même pas écoulé une semaine depuis sa sortie nocturne, et le voila qui repensait déjà à tuer, à assouvir ses macabres plaisirs ! Il se dit qu'il devait se retenir. Plus l'appétit est grand, meilleur est le plat, n'est-ce pas ? Il avait envie que ses nuits soient toujours toutes exceptionnelles et avait peur de tomber dans la lassitude si il le faisait trop souvent. De plus, la police, bien qu'elle soit minable au point de ne pas faire le rapprochement entre les victimes, pourrait se douter de quelque chose si ces personnes étaient retrouvés mortes juste après êtres passés chez lui... Il pourrait mourir, ou on pourrait l'envoyer en prison... Il n'a pas peur de la prison, ni de la mort. Il ne ressent rien, aucune émotion, aucun sentiment, outre le plaisir de tuer quelqu'un. À part ce sentiment de plaisir, il ne ressentait rien. Pas même la douleur... Uniquement un grand vide. Un grand vide, à longueur de journée... les gens en deviendraient fous ! C'est cela qui l'a poussé à tuer. Fou, de toute façon, il pense qu'il était déjà. Après tout, quelle importance ? Sa vie lui était convenable et il en était satisfait. Il n'a donc rien à craindre de la prison ou de la mort mais si il meurt ou si on l'emprisonne, il ne pourrait pas tuer. C'est cette idée qu'il refusait : le fait de ne plus pouvoir tuer. Jack regarda la pendule. Presque 9:00 ! Il se dépêcha donc de s'habiller puis descendit rapidement les marches menant sa maison vers sa boutique. Il tourna l'écriteau de sa porte sur "ouvert" et se mis devant son comptoir. Il en profita pour manger un morceau de pain en guise de petit déjeuner. Il ouvrit son carnet : seulement deux personnes s'étaient présentés à sa boutique depuis le vendredi 3 et il craignait qu'il n'y ait pas de client aujourd'hui encore. Il regarda le ciel depuis la grande vitre de la devanture du magasin et vit une nuée de pigeons. Il les observa puis se dit qu'il n'aimait pas les pigeons. En fait, il n'aimait pas les oiseaux, tout simplement. Le seul bec d'oiseau qu'il aimât était celui de son masque. Il réfléchit puis se dit qu'il y avait tout de même des choses qu'il n'aimait pas en parallèle avec les choses qu'il aimait. Il n'aimait ni être en retard, ni son père, ni les oiseaux. En revanche, il aimait tuer. Il reprit un morceau de pain en regardant pensivement le ciel.

16:32. C'est ce qu'indiquait son horloge. On était le 2 février 1749 et il attendait impatiemment le soir. Il avait tellement attendu... jamais il n'avait été aussi impatient. Il a même fait quelque chose qu'il n'avait jamais fait avant : Il était tellement impatient, tellement bouleversé par son envie qu'il se coupa avec l'un de ses tranchets alors qu'il réparait une chaussure. Il s'était fait une légère entaille au doigt... mais tout de même ! Une goutte de sang avait perlé et s'était écrasée sur le sol, laissant une minuscule tache rouge. Pendant ce temps, une goutte longeait la lame du tranchet puis vint s'étaler sur le bout de son doigt. Mais seulement, on y était enfin ! la nuit, la fameuse nuit du 2 au 3... Ce sera aujourd'hui son anniversaire : la 30ème nuit de meurtre. Il regarda pour la quinzième fois aujourd'hui son carnet et se dit que franchement, ce mois n'avait pas été très rempli... seulement cinq personnes s'étaient présentés. Le dernier était cependant un riche bourgeois, et cela compensait ce manque. Sa tête, son visage, son apparence, tout cela restait de marbre, impassible, évidemment. Cependant, son cerveau bouillonnait, son esprit s'égarait, il ne savais plus à quoi penser ni quoi faire pour passer le temps. Il se souvint alors qu'il ne lui restait plus d'éther car il n'en avait plus. Il alla dans sa cuisine, ouvrit un placard et en sortit quelques tubes à essais rempli chacun d'un liquide incolore. Il prit sa valise et plaça les tubes à essais pleins à la place des tubes à essais vides.

La pendule sonna 23:00. Jack avait laissé place au Docteur... Il sortit, habillé comme à son habitude lorsqu'il allait travailler la nuit. Le Docteur était de toute manière toujours habillé pareil... Il se rendit chez son premier patient. Un homme à l'allure pauvre quand il était arrivé à la boutique. Il arriva devant chez lui et ouvrit la porte...

Michel Jarmet et sa femme gisaient devant lui, leurs corps inertes baignés dans une tache de sang. "Oh... on dirait que j'ai raté ma saignée... Vous m'en voyez sincèrement désolé" dit le docteur avant de partir dans un fou rire quasi-hystérique. Il reprit ses esprits, rangea son scalpel et se dit : "Ah... quel plaisir est celui de tuer... Cela me détend et me fait un bien fou !". Il sourit de toutes ses dents en ouvrant son carnet : c'était désormais au tour du riche bourgeois... Ah ! lui. Quand il était arrivé, il ressemblait plus à un porc dodu qu'autre chose, le groin enfoncé et une ridicule perruque sur la tête. Le Docteur se réjouit d'avance de ce qu'il allait lui infliger. Il avait longtemps préparé cela : il allait d'abord l'amputer des jambes, puis des bras, et tout cela sans éther... avant de découper en morceau ses membres et les lui faire manger. Le Docteur, aussi bien que Jack, haïssait les riches ostentateurs. Il se rendit donc d'un pas rapide et presque en chantonnant devant la demeure de son prochain patient. "Monsieur Jarret, dit-il devant la, porte, je vais vous découper... Vous êtes atteints d'une grave maladie, il faut amputer... Mais non, c'est une blague, je veux juste vous tuer~". Il ouvrit la porte et arriva dans le vestibule d'une apparente luxueuse maison. Il avança lentement et vit une porte entrouverte. Il regarda à travers et vit une pièce plongée dans l'ombre malgré une fenêtre ouverte. Il arrivait tout juste à distinguer un lit. Le Docteur sourit et s'avança... avant de perdre son sourire. Le riche était effectivement sur le lit... mais ses yeux étaient déjà révulsés. Il était éventré, fouillé de ses entrailles, ses boyaux sortant de son ventre pour aller s'étendre sur le lit. Il regarda autours de lui et vit un oiseau au plumage de jais s'envoler depuis le rebords de la fenêtre. Il jura : "Ce carnassier ! On m'a volé ma victime, on a tué avant moi ! je me suis fait devancé ! Vautour !"

Il entendit soudain un bruit de pas derrière lui et un petit rire suivi d'une voix majestueuse s'éleva dans la pièce : "Oh, non, certainement pas, mon cher... Je ne suis pas un vautour... Mon nom est Le Corbeau.". Un homme qui devait avoir un peu moins de 30 ans se tenait derrière lui. Il avait les traits fins, des cheveux noirs, courts mais décoiffés. Il n'avait pas de chapeau mais un masque de carnaval noir aux contours dorés. Il avait une veste en queue de pie et se reposait sur une canne au pommeau argenté en forme de tête de corbeau. Enfin, il aperçut sur sa main qui ne tenait pas la canne un gant noir en cuir sur lequel trois lames avaient été insérées. Le corbeau de la fenêtre vint se poser sur son épaule puis regarda le Docteur des ses yeux noirs en se mettant à coasser rauquement. Le Corbeau dit : "Sur ce..." puis fit une courbette avant de sauter par la fenêtre. Le Docteur écumait de rage. Il prit un couteau qui se trouvait sur une commode de la chambre puis l'enfonça d'un coup dans la tête du mort, sans se soucier ni du craquement du crâne qui se fendait sous la pression, ni du sang qui vint asperger son masque blanc. Il sortit de la chambre et partit d'un pas rapide chez lui. Il ne put dormir cette nuit.

Le DocteurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant