Dans le silence nu d'une cité détruite,
Un bruit effacé s'insinue tel un reproche,
Puis il s'intensifie, bourdonne et se rapproche,
Un avion en vue donne à l'horreur une suite.Les quelques spectres vivants, semblables à des ombres,
Se pressent machinalement sans réfléchir,
Volent vers un refuge à travers les décombres,
Et y prient, attendant de vivre ou de mourir.Le vacarme redouté se produit enfin,
La ville tremble sous un déluge de bombes,
Puissant comme un élément, terrifiant, sans fin,
Dictant à tous de creuser de nouvelles tombes.Le tumulte s'estompe, le calme revient,
A peine se réjouit-on d'être encore en vie,
Certains se précipitent hors de leur abri,
Quand d'autres sombrent, ne se hâtent plus vers rien.Le jour reparaît sur leurs visages flétris;
Sous le ciel maussade tombe une fine bruine.
Puis un cri s'élève au milieu des débris:
Une mère en larme hurle sur le chant de ruine.Surgissant épargnée d'un trou inexistant,
Affolée, perdue, sans ses deux petites filles,
Elle a couru retrouver sa seule famille,
Qui ne l'avait rejointe par faute de temps.Autour d'elle plusieurs inconnus la console,
Elle se ferme aux paroles, ne bouge plus.
Au détour d'une rue, en observant le sol,
Elle a vu leurs corps, éventrés par un obus.Le monde se désagrège, tout perd de son sens.
Elle est envahie d'une insondable douleur,
Qui la lance à chaque battement de son cœur.
Elle implore pour qu'on abrège ses souffrances.Et en dépit de la peine qui la terrasse,
Elle se traîne aux deux dépouilles enlacées,
Prend les joues de ses filles qu'elle a tant aimer,
Elle s'agenouille et doucement les embrasse.Les mots lui parviennent tel un amas de sons,
Expressions superflues d'une vie inféconde,
Qui bientôt ne la retiennent plus en ce monde:
Elle sent comme une vague: elle perd la raison.Alors une bouffée de folie la submerge,
Elle étouffe, se dévêtit dans le brouillard,
Puis aperçoit, égarée, un immense char,
Et avec calme va vers lui telle une vierge.L'énorme monstre s'arrête et semble hésiter,
Comme si, parmi les témoins de cette guerre,
Des bourreaux aux prêcheurs en tout point de la Terre,
Il était soudain seul doté d'humanité.Elle voit au sol près d'une goupille des craies,
Tristes reliquats issus d'une école enfouie,
Toujours les poches de ses filles en regorgeaient,
Afin de dessiner leurs rêves évanouis.Elle s'en saisit, va nue vers un mur de pierres
Et y écrit le doux prénom de son aînée,
Puis avant d'y porter celui de sa dernière,
Un coup de feu retentit à proximité.Nait et meurt alors un bref faisceau de lumière
Qui perce son cœur, du sang jaillit de son sein,
Un homme amusé s'avance fusil en main,
Te voilà noble Syrie qui t'écroule à terre.