Près de la baie vitrée

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J'entrai dans le café. Mon regard balaya la salle, se promenant de client en client. Au comptoir, un homme d'affaire en costume noyait sa nervosité dans le café, cette boisson aux saveurs amères mais addictives. Dans le coin de la salle, deux amies discutaient joyeusement en buvant des jus de fruit. Derrière la caisse, les serveurs débattaient sur la situation politique tout en essuyant la vaisselle.

Puis mes yeux verts se posèrent sur celle que je cherchais : une jeune femme, ni trop jolie, ni trop laide, qui écrivait dans un petit carnet. Assise près de la grande baie vitrée, elle buvait ce qui semblait être un chocolat chaud.

J'inspirai un grand coup, ignorai les papillons qui virevoltaient dans le bas de mon ventre et allai m'assoir à la table voisine de celle de la jeune femme.

Je commandai un café, que je bus en observant discrètement ma voisine de table : elle avait des cheveux noirs, raides, relevés en chignon serré, attaché par un ruban rouge. Sa chevelure était ornée de quelques fleurs de cerisier, apportant un peu de printemps dans ce tableau urbain. Ses yeux en amande étaient rivés sur ce qu'elle écrivait. Elle était habillée d'une robe élégante, rappelant légèrement les kimonos japonais.

Puis elle leva les yeux de son carnet et regarda par dehors : la rue était quasiment vide. Il pleuvait averse. Les gouttelettes limpides martelaient la vitre avant de s'écraser dessus et de couler lentement, créant ainsi des lignes d'eau.

Mais ce n'était pas la valse de la pluie que ma bien-aimée observait avec attention. Ce n'était pas non plus sur les passants pressés que son regard était posé. Mais quoi alors ?

Ses pensées étaient pour moi un mystère. Un vide sans fond de chocolat chaud, de rubans rouges et de fleurs de cerisier. Je voulais tellement en savoir plus sur elle ! Pour moi, elle n'était que l'énigmatique femme qui écrivait tous les jours près de la grande baie vitrée, ses pensées tournées vers un je-ne-sais-quoi situé dehors. Tous les jours, je m'asseyais auprès d'elle. Tous les jours, je buvais mon café tout en humant ce parfum de thé vert qu'elle dégageait. Tous les jours, mon cœur battait pour cette charmante fleur de lotus.

C'est alors qu'elle se tourna vers moi, les yeux pétillants. Je compris presque immédiatement : depuis c'est trois ans, ce n'était pas la pluie battante, les passants ou les arbres secoués par le vent qu'elle observait. Depuis ces trois ans, elle me regardait moi, ou du moins mon reflet, dans la baie vitrée.

Ma bien-aimée me lança un sourire radieux, avant de me dire avec un léger accent asiatique :

« Je m'appelle Yume. Et vous ?

-Je m'appelle Jean, enchanté ! »

Nul doute que, pour moi, à partir de ce jour, les jours me furent beaucoup plus beaux, et parfumés à la fleur de cerisier et au thé vert.


Réalités - recueil de textesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant