Chapitre QUATRE - Je ne sais pas

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Partie I

J'ai froid.

Je tremble et je sautille, frotte mes bras d'un mouvement systématique. Me plie en deux suite à une rafale, tousse et plisse les yeux. Et je ne comprends pas. Je ne comprends toujours pas. La confusion s'est installée dans mon esprit et la peur me serre le ventre, ma gorge se noue et se renoue alors que je cherche en vain. Une solution. Une explication. Un indice, au moins, seulement un indice. Je remue les lèvres. Je ne sens plus mes orteils. Pourquoi il fait si froid ?

Je tourne la tête, croise un regard d'acier et me détourne encore.

Qui sont ces gens ?, se demande encore mon esprit confus. Mes doigts serrent l'épais manteau de fourrure prêté, le remontent jusqu'à mon nez, recouvrant mes joues, tentant de me réchauffer. Mais je tremble toujours. Et le claquement de mes dents se fait assourdissant. Tout n'est que silence et glace. Et mort. Et solitude. Et abandon. Comme dans un songe, je vois étinceler les arbres. Leurs troncs transparents se tendent et s'étirent vers un ciel bien trop clair, une lumière blanche les transperce et se diffuse dans ce que je devine être une forêt. Et c'est beau. Terriblement, affreusement beau. Une neige de cristal s'étale sous mes pieds, d'un blanc pur, immaculé, incroyable. Et je crois halluciner, je crois rêver. J'en ai le souffle coupé.

Mais un sentiment de méfiance demeure.

Qui es-tu ?, tonne soudain une voix grave.

Je sursaute, me tourne et me détourne encore. Je n'ose affronter ce regard qui brille de colère. Mes joues me brûlent, l'embarras me gagne et tout d'un coup je ne sais plus quoi faire, comment me conduire sous ce visage qui me juge sans la moindre gêne. Mes doigts se serrent, mes lèvres se plient dans une grimace et j'inspire, je cherche mon souffle et mes mots, essaye d'attraper un courage qui me fuit sans relâche.

Mais le temps s'écoule et je ne sais toujours pas quoi répondre.

Et il s'impatiente.

Je l'entends soupirer, souffler et marmonner à travers ses dents serrées. Je sens ses yeux me fusiller et la frustration le gagner. Son poing se serre, sa mâchoire se crispe.

― Je t'ai posé une question.

Il attend. Il attend.

― Sais-tu au moins qui je suis ?

Il attend. Il n'attend plus ; il s'avance.

D'un bond, il se trouve tout d'un coup à quelques centimètres de moi. Je baisse la tête. Il lève le bras. Brusque, il attrape mon menton, le soulève, me force à lever les yeux. Un cri m'échappe, je déglutis et recule violement, l'indignation m'habite à présent. Mes sourcils se froncent, mes yeux se plissent, mes lèvres se mordillent, se lèvent, remuent et je crie quelque chose, des mots que le vent emporte. Des mots que personne n'entend.

Il lève un sourcil, provocateur ou amusé ou ennuyé, nul ne sait réellement. Son expression reste une énigme impossible à résoudre, et il le sait. Il en profite.

― Je ne sais pas, je réponds enfin, en frottant mes bras.

Ceci est un mensonge, ceci n'est pas vrai. Mais je me cache derrière cette fausse excuse rapidement inventée, je cherche à gagner du temps. Du temps pour retrouver mes esprits, du temps pour comprendre, du temps pour trouver une solution.

Je déglutis.

Mon dos se redresse.

Ma poitrine s'essouffle.

Je n'ose me demander si mon excuse est crédible, n'ose imaginer le doute le travailler. La peur me titille, mon cœur se serre. Je détourne les yeux.

― Tu ne sais pas ?, il demande, d'une voix colorée de tons railleurs. Tu ne sais pas. Tu ne sais pas.

Sa tête se renverse dans un grand éclat de rire. Le malaise me gagne, l'amertume m'habite. La peur me domine. Il ne me croit pas. Il ne me croit pas. Je tremble et j'appréhende, un fugace éclair de panique me transperce. L'éclat métallique de son épée me parvient, froid et menaçant. Un frisson me parcourt l'échine. Dans ce monde, ils portent des épées. Dans ce monde, les arbres sont de glace. Dans ce monde, ils portent des lourds manteaux de fourrure. Dans monde, rien ne semble réel. Dans ce monde, dans ce monde, dans ce monde. Ce monde qui n'a rien avoir avec le mien. Où suis-je ? Qu'est-ce que je fais là ?

Je déglutis. Serre la mâchoire. Ce n'est pas le moment, je me dis, je décide. Ce n'est pas le moment pour le doute et la peur. Pas tout de suite. Pas encore. Alors je redresse la tête, le dos et inspire profondément. Braque un regard déterminé sur mon interlocuteur. Lui qui ose rire, lui qui ose se moquer. Mes bras se croisent, mon cœur se révolte.

― Je ne sais pas ce que je fais là, comment je suis arrivée là. Je ne sais pas où je suis. Je ne sais pas pourquoi je suis ici. Je ne sais pas. Je ne sais rien, je tente d'expliquer, d'une voix qui tremble et qui s'agace.

Mes cheveux volent, le vent me les dérobe. Je les attrape avec mes doigts glacés, les replace derrière mon oreille et soupire. Une rafale me frappe de plein fouet. Mon souffle se coupe, mes yeux se ferment.

La fatigue me gagne.

― Pourquoi suis-je supposé te croire ?

― Je ne sais pas moi !, j'éclate soudain. Je n'essaye pas non plus de te convaincre ! Si tu ne me crois pas, tant pis, qu'est-ce que j'en ai à faire ?

Sa mâchoire se crispe. Une étrange lueur danse dans ses prunelles tandis qu'il se tait et m'observe. Il réfléchit. Mon attitude l'ennuie, mes paroles l'interpellent. Il ne comprend pas, il ne me comprend pas et l'énigme qu'il était au début semble se fissurer petit à petit. Son expression devient plus accessible, plus facile à comprendre.

Je baisse le nez dans mon manteau, y dissimule un léger sourire. Stupidement victorieux.

Le vent s'agite de plus en plus.

Un murmure parcourt soudain la petite assemblée. Les autres hommes, beaucoup plus habillés mais moins élégants que mon interlocuteur bougent soudainement et chuchotent, eux qui étaient pourtant si silencieux. Des regards interrogatifs se lèvent vers le ciel, des têtes se tournent, un air inquiet se dessine. L'un d'entre eux ose faire un pas, s'approche et s'incline, baisse la tête et se dépêche de dire :

Votre Majesté ! Nous devrions partir. Ces bois ne sont pas sûrs et nous sommes restés immobiles bien trop longtemps.

Votre majesté ? Non. C'est pas vrai. Impossible.

Je regarde mon interlocuteur. Étonnée. Je regarde le second homme. Je comprends enfin. Il s'agit d'un prince ? Il s'agit d'un roi ? Je suis tombée dans un conte de fées ou quoi ?

J'ai envie de rire. D'amertume. D'incrédulité. De solitude, aussi.

Le Prince Charmant jette un œil agacé à son garde.

― Je n'ai pas besoin de toi pour me dire quoi faire !, aboie-t-il.

Il lève une main, la passe dans ses cheveux.

― Très bien. Nous partons.

Il souffle. Il soupire. Il se tourne.

― Toi !, il m'apostrophe. Donne-moi une bonne raison pour te laisser en vie.

Je recule, fronce mes sourcils. Un ''sérieusement ?'' flotte sur mes lèvres mais je me tais et me mords la langue. Une bonne raison. Une bonne raison. Je cherche mais je ne trouve pas. Et le pathétique de ma situation me saute soudainement aux yeux. Ma gorge se serre, je tremble. L'envie de pleurer de frustration me tourmente mais je redresse déjà mon buste. Je ne peux pas céder. Je ne peux pas pleurer. Je ne peux pas m'effondrer.

J'ouvre la bouche, inspire mais le froid me coupe le souffle.

Un sifflement parcourt les bois.

Un sifflement se rapproche de nous.

Un sifflement nous assourdit tous.

Un bruit sourd se fait entendre, un déchirement, un cri et le chaos s'installe. 

MAUDITEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant