Ce soir-là

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On était samedi, je me demandais tranquillement ce que j'allais regarder. À l'approche des fêtes de Noël, la plupart des chaînes diffusaient des téléfilms. Je n'avais pas envie de regarder un film niais, ou un dessin animé, cela faisait longtemps que je ne croyais plus au Père Noël. Mon mari était parti avec mes deux filles voir le tout nouveau Disney sorti au cinéma. J'étais donc seule.
Il faisait déjà très froid pour ce mois de décembre, et je me réjouissais déjà d'avoir un Noël blanc. Je me rendis dans le salon, et allumai la lumière. Notre maison étant très vieille, la lampe éclairait peu. En regardant pensivement par la fenêtre, je remarquai que la lumière qui émanait de la maison des voisins n'était pas normale, il était en effet partis depuis une semaine et ne devaient revenir que la suivante. Je me dis d'abord qu'ils étaient peut-être rentrés, mais c'était impossible, on pouvait voir, à la lumière des lampadaires, que leur jardin était vide, à l'exception des vélos des deux enfants, deux garçons. En regardant plus attentivement, je pouvais voir le contour d'une silhouette, un homme, je pense. Je ne compris pas tout de suite qu'elle n'était pas censée être là. Sa présence me dérangea et je courus chercher un manteau et de bonnes chaussures.
Lorsque je sortis, il avait commencé à neiger, mais l'ombre avait disparu. Je m'avançai prudemment, je commençais à être inquiète, tout ceci n'était pas normal. Je continuai en regardant attentivement autour de moi, mais toujours aucune trace de l'inconnu. La neige tombait toujours, elle commençait à recouvrir les toit d'une fine pellicule blanche, donnant un côté mystérieux à la scène. En arrivant enfin dans la rue, la silhouette réapparut. Soudain, une peur indescriptible m'envahit : je n'avais qu'une idée en tête, prendre mes jambes à mon cou et partir loin de là, le plus vite possible. Mais j'en étais incapable. Pour une raison inconnue, je restai clouée sur place. Cette peur grandissait, au point que je ne pensais plus tenir plus longtemps. Je sentis que j'allais m'évanouir au beau milieu de cette rue.
Sans que j'aie donné l'ordre, mes pieds avancèrent tout seuls, se dirigeant vers le jardin de mes voisins. Je ne peux toujours pas décrire les sentiments atroces que j'ai ressentis à ce moment-là. C'était un peu lorsqu'on se confrontre à sa plus grande peur. Pourtant, je n'avais pas particulièrement peur du noir...
La silhouette s'éloignait au fur et à mesure que je m'approchais. Elle se dirigait lentement vers ce que je reconnus comme être la porte. J'avançais à tâton, dans leur jardin, seulement éclairé par la faible lueur des lampadaires. Sur le moment, je regrettais de ne pas avoir pris de lampe torche, ou encore, mon téléphone. Tout à coup, elle s'arrêta. Elle se tourna lentement vers moi, sourit et disparut. Elle avait un sourire, digne du chat du Cheshire dans Alice au pays des merveilles. Sauf que celui-là était effrayant. Il semblait me dire : " Je reviendrai". Ce sourire me retourna et mes pensées ne furent plus que des mots, sans queue ni tête. J'avais déjà vu ce sourire, mais où ?
Poussée par la curiosité, j'avançais toujours, attentive au moindre bruit, au moindre mouvement que je pouvais distinguer dans la pénombre dans laquelle j'étais plongée.
Un craquement retentit et je sursautai. La peur s'empare à nouveau de moi, suivi par le doute : qu'est-ce qui m'avait poussé à continuer jusque-là ? Et est-ce rationnel et irrationnel ? Pourquoi avais-je aussi peur ? Et c'est lorsque je me retournai que je vis enfin le visage de ce qui me faisait peur, c'était... Non ! C'était impossible... Il était mort il y avait des années de cela, ça ne pouvait pas être mon père ! Mais si, c'était lui : tout prenait son sens, la peur que je ressentais, la même que lorsqu'il me frappait, ce sourire qu'il avait quand il s'approchait de ma mère, une ceinture à la main. Quand il fut assassiné, nous ressentîmes un grand soulagement avec mon frère. Malheureusement, il était trop tard, ma mère était morte des années auparavant, et mon frère devins fou. Il fut enfermé dans un hôpital psychiatrique. De mon côté, je parvins un surmonter le traumatisme et à refaire ma vie avec un homme charmant et sain d'esprit. Je n'avais jamais parlé de mon passé, car je savais que si les souvenirs faisait surface, je ne pourrais pas guérir à nouveau et je sombrerais dans la folie.
Cet homme, qui devrait être mort, me regarder, un rictus mauvais, peint sur le visage. Ses cheveux étaient décoiffés, son visage semblait pâle. Je pouvais lire dans ses yeux toute la haine qu'il avait ressentie pendant des années, le désir de vengeance qui le démangeait. Il s'approcha lentement de moi jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'à quelques centimètres.
Il murmura :
"Tu vas mourir comme il m'a tué".
Et il me planta un couteau dans le coeur. Je m'évanouis, la douleur étant trop forte pour moi.

***

J'entendis des voix, des voix de petites filles :
" Elle va aller au Ciel ? Comme mamie Jocelyne ?
- Non, ma chérie, répondit d'une voix posée, quoique tremblante, un homme.
- Alors elle va mourir ? demanda la deuxième.
- Mais non, Rose ! dit fermement l'homme."
Poussée par la curiosité, j'ouvris les yeux. La lumière m'éblouit un peu, mais je tentais de les garder ouverts.
"Bonjour, dis-je d'une voix tremblante.
- Maman ! hurlèrent les deux petites."
Elle me sautèrent dessus . Je me rendis compte que j'étais dans un hôpital, des dizaines de fils étaient rattachés à mon corps. Ils semblaient mesurer les pulsations de mon cœur. Mon cœur... Et là, une sorte de barrière qui faisait barrage à mes pensées disparut et tout, depuis le début, me revint en mémoire. Je me mis alors à sangloter, doucement, puis ce fut carrément un torrent de larmes qui coula de mes yeux. Mes filles me regardèrent et la plus jeune, Marie, me demanda :
"Dis, maman, pourquoi tu pleures ?
- Un jour, peut-être, je te le dirai..."

FIN

Ce soir-là...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant