Prologue.

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 Prologue.

Les murs dépareillaient de ma chambre,  les lattes de ma couchette qui craquent à chacun de mes mouvements, l’odeur du cramoisis, l’ampoule qui chancelle. Mes mains suintantes, mon sang qui irrigue difficilement à mon cerveau et puis ce cadre devant moi. Cette photo qui me nargue, qui me donne envie de gerber. Mes doigts font vibrer les cordes de ma vieille guitare, j’envie Hendrix, il était tellement talentueux. Un objet attire mon attention, il brille grâce aux rayons du soleil traversant misérablement mes rideaux. Je dépose délicatement ma guitare sur mon lit et attrape cet objet, une lame de rasoir. Mes yeux se dirigent directement vers mes poignets, mes bras, le bas de mon ventre….toutes ces cicatrices, je me suis interdis de recommencer, mais à ce moment-là, l’envie est trop forte. Je me laisse glisser le long du mur et attrape la lame, mes doigts tremblent, je retourne ma paume vers le ciel et contracte mes muscles, mes veines apparaissent. Mes doigts tremblent mais se dirigent quand même vers mon poignet vacillant. Je ferme les paupières et enfonce la lame entre les veines, je les frôle juste. Je laisse la lame dans ma peau et trace un rond parfait avec son bout. De l’hémoglobine partout, sur mes habits, sur le plancher, sur ma main, sur mon bras… Je lance la lame de l’autre côté de la pièce et presse mes paupières alors que la douleur remonte à mon cerveau et paralyse toutes les parties de mon corps. Je tâte de la main droite le sol de ma chambre afin de trouver un morceau de tissus pour arrêter l’hémorragie. Je ne trouve rien. Je me lève difficilement et chancelle jusqu’à ma commode. J’arrache un chandail blanc et l’enroule autour de mon poignet. A ce moment précis, je ne pense plus à aucun de mes problèmes, je suis de retour dans le monde réel. Autour de moi, la pièce tourne bizarrement, une larme roule sur ma joue alors que la douleur s’amplifie de seconde en seconde. Je me laisse choir sur mon lit et je tape du poing.  Non, je ne suis pas assez courageux pour m’ôter la vie mais j’en rêve tellement, c’est la seul solution n’est-ce pas ? Je noue mon tee-shirt blanc autour de la plaie enfin de la cacher de la vue des autres et j’essuie furtivement mes joues humides.

-          Harry, sort de ta chambre.  Brailla une des personnes responsables du foyer dans lequel je suis cloitré.

Je ne répondis pas et fermai ma porte à clé. La douleur commençait à s’évaporer et mes cauchemars m’envahissaient à nouveau.  Je me revoyais dans cette pièce sombre, sous mon lit d’enfant, essayant de rendre ma respiration inaudible alors que je voyais des chaussures arpenter les quatre coins de ma pièce. Je ressentais la même peur, le même sentiment de terreur que j’avais ressenti onze longues années auparavant.

Lorsque je me rassis sur mon lit, un latte lâcha et je jurai ; encore une raison de plus pour partir, pour m’enfuir. En ce moment, les raisons s’enchainent. Il faudrait bien qu’un jour je me lance, il le faut. Une clef tourna dans la serrure de ma porte et la porte s’ouvrit en grinçant.

-          Je t’ai dit de sortir de cette chambre Harry.  Fulmina Natalie, la responsable des dortoirs en allumant la lumière.

 Je lui souris faussement, posai ma guitare à même le sol et enfila mes chaussures. Je n’en peux plus de cette vie, vraiment, c’est trop, ça suffit. Avant de sortir, j’arrachai les clefs de ma bécane, attrapai mon blouson en cuir, ramassai ma guitare et arrachai la seul chose qui reste de mes parents -une photo et lui lançai un regard narquois. Elle me scruta, interloquée, et j’en profitai pour partir en courant dans les escaliers, c’était mon unique de chance de m’enfuir, je n’avais pas le droit à l’erreur. J’entendis des cris dans mon dos, mes potes du foyer m’aidèrent à m’enfuir en bloquant les adultes. Lorsque j’atterris dans le jardin, je lançai un regard plein de haine vers ce foyer qui fut, pendant longtemps, une prison pour moi et crachai sur le perron. Ma Harley était garée quelque part dans le parking, je pressai le pas lorsque je l’aperçu, montai dessus et je m’enfuis la rage au cœur, les jointures de mes doigts blanchirent et la mâchoire serrée, je m’élançai sur les kilomètres de routes qui me séparaient de ma liberté.

Ma bécane rugit, Cash cri, les miles défilent. Le Nevada me tend les bras et je me love dans son désert. L'aiguille du compteur s'affole et mes cheveux s'écrasent sur mon visage. Mes yeux me piquent, mes lèvres se dessèchent, le soleil tape. Il tape tellement fort que mon cerveau bouillonne. Mes pensées s'affolent, mon ancienne vie disparaît en poussière comme le bitume qui fume sous les roues de ma Harley. Je vais vite, trop vite et puis elle est là, plantée sur la route à me regarder avec ses yeux accusateurs et elle disparait, elle disparaît à tous jamais. La peur.

                                                                              *

 Des notes mélodieuses résonnaient dans le quartier endormis d'Holmes Chapel, des notes aux rythmes incertains et fragiles vibraient en chœur. La jeune adolescente assise sur une banquette devant sa fenêtre fulminait intérieurement que de telles cloisons séparent ce son divin de ses oreilles inassouvies d'une telle douceur. Elle remuait sa tête de droite à gauche et serrait ses paupières pour s’évader de ce monde de démence. L'avenue était très peu éclairée et aucun véhicule ne circulait en outre aucun son ardu ne venait gênait le plaisir auditif auquel se soumettait la novice tous les soirs. Elle même était pianiste mais jamais elle n'avait entendu une ritournelle aussi raffinée que celle qui atteignait ses tympans à ce moment précis.

Mais lorsque la mélodie se stoppa net, l'auditrice tressaillit et ouvrit les paupières de nouveau. L’univers dans lequel elle s'était submergée quelques minutes plutôt se dissipa et laissa place à un décor qu'elle haïssait par-dessus tous, celui de sa vie.

La jeune fille attendit les hurlements agonisant de sa génitrice provenant de la chambre adjacente. Elle  s’effondra sur l'unique mobilier de sa chambre, son piano, et éclata en sanglot. Elle joua, elle joua pendant des heures sans aucune interruption, elle pleurait, hurlait et continuait à balader ses long doigts délicats sur les touches lisses de son seul ami malgré les violents spasmes qui la secouait entièrement. Plusieurs fois elle entendit l'homme qui demeurait chez elle depuis peu frapper contre son mur pour qu'elle cesse de jouer mais jamais Ivy ne cessa de jouer, jamais. Les mélodies s’enchaînaient parfaitement, nulles fausses notes ne vinrent corrompre l'élan de rébellion intérieur de la juvénile pianiste, rien ne dompta ses supplices à part les mélodies implorantes et vibrantes de tristesse qu’Ivy jouait enfermée entre les quatre murs blancs imprégnés de sa douleur.

Paradoxe.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant