14 mai 1937,
My love,
Quel soulagement lorsque ta lettre est arrivée hier et que j'ai pu y lire ton approbation, bien que teintée d'anxiété, concernant une possible révélation de notre relation à Louise. Soulagement car, comme lorsque je te demandais ton avis sur son possible emménagement, la chose s'est faite plus vite que prévu.
Tu es déçu. Tu te dis sans doute que ton avis ne compte pas pour moi, que je le demande uniquement pour ne pas te vexer et qu'au fond il m'importe peu. Mais tu as tort. J'attendais ta réponse et je l'aurais certainement attendue jusqu'au bout si Louise avait mis de côté sa fâcheuse manie de fouiner partout, tel un commissaire de police cherchant des preuves contre un suspect. Sauf qu'elle ne fait pas cela pour me causer du tort alors ma comparaison n'est sans doute pas très bonne.
Elle n'a pas lu tes lettres. Sans doute a-t-elle très vite compris qu'elles relevaient d'un domaine trop intime pour que je lui pardonne si jamais elle le faisait.
Mais hormis cette liasse de papier, rien dans l'appartement n'a échappé à sa curiosité et il faut dire que cela ne m'avait jamais vraiment dérangé car je n'avais rien de honteux à cacher. Ce qui la fascinait évidemment le plus était les ouvrages que je possédais, je crois t'avoir d'ailleurs déjà dit qu'elle m'empruntait régulièrement des livres en français.
Or depuis que nos leçons d'anglais ont commencé, elle s'intéresse de plus en plus aux romans que je possède dans cette langue et même si elle n'a pas encore une assez grande maîtrise pour les lire elle exulte chaque fois qu'elle reconnaît un mot.
Tu es sans doute perdu. Tu te dis que des lettres j'ai digressé aux livres avant de me tourner vers un nouveau sujet et que j'ai maintenant totalement oublié où je voulais en venir au départ. Me connaissant, ça aurait très bien pu être possible mais pour une fois ce n'est pas le cas et je mène mon histoire sans m'égarer.
Donc Louise progresse dans notre langue natale et commence même à pouvoir décrypter certaines phrases. Très bien, mais quel rapport avec nous deux ? Eh bien, vois-tu, je n'ai pas emmené que des romans avec moi à Paris mais également les cahiers où je note mes poèmes.
J'ai bien sûr pris les plus récents car c'étaient ceux me remplissant le plus de fierté mais également un petit carnet de la taille d'un livre de poche, pas très épais et avec une jolie couverture en cuir bleu avec des dorures sur les contours et la tranche.
Un très beau carnet que j'avais trouvé lors d'un déplacement en ville avec mon père et dont je te parle en détail car c'est certainement sa couleur et ses décorations qui ont attiré l'œil de Louise. Tous les autres ressemblent à de simples cahiers d'école mais lui, de par sa petite taille et sa couleur, détonnait dans ma bibliothèque comme un homme en blanc à un enterrement.
Tu es certainement désormais en train de froncer les sourcils en essayant de te souvenir d'un tel carnet mais c'est inutile car c'est le seul que tu n'as jamais tenu entre tes mains et que tu ne tiendras jamais. J'aurais beaucoup trop honte si tu le faisais et je n'aurais plus qu'à m'exiler à l'autre bout de la Terre, en Australie ou sur l'une de ces minuscules îles du Pacifique.
Je ne sais pas quand je suis tombé amoureux de toi mais je peux te dire précisément quand est-ce que je m'en suis rendu compte.
C'était l'été de nos treize ans, il y avait une fête au village pour un mariage et tout le monde dansait sur la place principale. Nous étions assis à l'écart, dans un champ fraîchement fauché et la senteur du foin s'élevait dans l'air chaud de la nuit, se mêlant aux odeurs de nourriture et de fleurs. Tu avais réussi à t'approprier une des dernières parts du gâteau de mariage et nous nous étions éloignés pour le manger, évitant ainsi d'être assaillis par une nuée de petites sœurs battant des cils pour avoir une miette aussi grosse qu'une bouchée d'ogre.
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Hymne à nos masques
Ficção HistóricaAoût 1936, trois ans avant le début de la guerre, Sean arrive à Paris. Il vient d'un petit village anglais et rêve depuis longtemps de la capitale française. Dans son petit une pièce il écrit à son amant. Ses cours de littérature, ses voisins...