Blanc Ivoire

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Ce soir-là, un beau soir d'octobre frais et calme, deux amis rentraient du lycée, marchant côte à côte, lentement, sous un ciel bleu très pâle décoré de nuages, dans la brise d'automne qui faisait valser les feuilles mortes et danser les vêtements flottant doucement. Leurs silhouettes se découpaient sur les nuées, tandis que leurs voix s'élevaient entre passé, présent et avenir, et tandis qu'un châle gris perle argenté jouait dans le vent, ils évoquaient leurs souvenirs de musique, leur journée et leurs projets d'avenir... La première était une jeune fille aux mèches blanches et aux yeux turquoise illuminant un visage de fine porcelaine, tandis que l'autre, sa peau plus sombre mais ses traits tout aussi délicats, possédait des cheveux frisés, couleur de jais, et des yeux étincelants, aux nuances de chocolat, mais si leurs apparences s'opposaient, leurs esprits se complétaient parfaitement, en mille mélodies, sur la ligne ambiguë entre l'amitié, l'admiration, et un amour platonique qui ne demandait rien que quelques notes, des centaines de mots, leurs voix se mêlant et, parfois, une étreinte ou leurs mains se nouant. Tous deux, vêtus d'un jean et d'un pull, celui de l'adolescente d'un vert émeraude, celui du jeune homme d'une jolie teinte de gris, celle de l'écharpe de soie de son amie, avec simplicité, se fondant dans le décor et dans le flot d'élèves qui rentraient peu à peu, mais un détail les dissociait de ces derniers : des millions d'étoiles scintillaient dans leurs yeux, tandis qu'ils continuaient d'avancer, leurs violons sur le dos dans leurs écrins de velours...

« Dis, Sirius... Tu sais ce que tu veux faire plus tard ? La musique ? » demanda la plus petite.
« Non, Helena, pas vraiment. Et même si j'ai la passion, il y a tellement de place pour l'échec... » fit son ami.
« Tu sais, je crois que tu as l'étincelle pour réussir, et je ne suis pas la seule. Le talent, l'amour de ton instrument, cette motivation et cette concentration, ce travail de tous les jours. Et s'empêcher d'essayer par peur d'échouer, c'est comme s'empêcher de vivre à fond par peur de mourir, non ? » sourit-elle, sa voix douce étant parfaitement sincère, porteuse de confiance et d'émotion.
« Je reconnais bien là la littéraire ! » sourit Sirius, amusé mais touché. « Jolie métaphore... Tu le crois vraiment ? »
« La première fois que je t'ai entendu jouer, j'ai su que tu avais quelque chose de particulier, et quand on discutait de musique, j'ai compris que tu pourrais, si tu le voulais. J'en ai parlé à ta professeure, puisque comme tu le sais, moi aussi je suis complice avec elle, elle m'a vue grandir, et m'est devenue une précieuse alliée, une amie... Elle le croit aussi. Elle est très fière de toi, si tu savais. » murmura Helena, avec tendresse. « Promets-moi d'y réfléchir, d'accord ? S'il te plaît. Tu as peut-être choisi la filière économique et sociale, mais l'art t'appelle à travers la musique. Écoute cette dernière avant de faire ton choix. Juste une fois. »
« Promis. » répliqua l'adolescent, souriant. « Je l'écouterai... Et je t'écouterai toi.  Après tout, tu es mon Fantôme, c'est ça ? »
« Et tu es mon Ange de Musique. » répondit-elle, comme une évidence, posée et amicale. « Allez, on y va, ou on sera en retard ! »

Tous deux hâtèrent le pas, continuant de discuter, se dirigeant vers l'orchestre pour y travailler, comme ils le faisaient deux fois par semaine, ensemble, puis se mirent à courir en riant. C'était une belle journée... En sautant au-dessus des flaques, lisses comme des miroirs et reflétant le ciel, Sirius semblait vouloir s'envoler loin des petits soucis qui ne les empêchaient pas de vivre, oubliés sitôt sortis du lycée, et Helena, tourbillonnant au milieu des feuilles brunes, d'or et de feu que créait l'automne, souriait plus que tout, insouciante, amusée, silhouette immaculée vêtue d'émeraude et d'argent, au milieu des rubis et de la cornaline délicatement ciselés par la nature en ouvrages aussi fins que le papier, aussi fragiles que la dentelle. Tout allait bien, tandis qu'ils franchissaient les grilles du bâtiment, montaient vivement les escaliers et sortaient leurs instruments sans cesser de se parler, comme ils le faisaient toujours, amis, s'accordant à partir du piano placé dans un coin de la pièce, étant entourés peu à peu des autres, saluant leurs camarades, se prêtant colophane, archet ou chiffon avec le plus grand soin. Puis ils posèrent l'archet sur les cordes, tandis que les premières notes de piano s'élevaient, et les flûtes et le violoncelle se préparant, les doigts se préparant à virevolter sur le métal, tous sourirent avant de commencer. Ils jouaient, et rien d'autre n'importait, à ce moment, tous les problèmes s'éloignant. Ne restaient que les notes, leur complicité et la promesse du jeune homme de penser à la proposition... Il y penserait, et, Helena en était sûre, accepterait, par passion, ne serait-ce que d'essayer. Forte de cette certitude, la jeune fille prépara sa position, et les archets se mirent à bouger, en un mouvement unique, à l'unisson. Le coeur battant, elle sourit : dans ces moments, elle pouvait réellement dire qu'elle était heureuse. Il suffisait que rien ne change...

Le PianoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant