Nous étions arrivés par bus un matin de juillet. La route avait pris ma plus jeune sœur, Nooda. Âgée de trois mois, elle n'avait pas eu la chance de survivre à la chaleur ni à la longueur du trajet. Nous l'avions enterrée au bord de la route dans un sous-bois. Son ensevelissement fut rude mais nous savions que la vie n'allait jamais être de tout confort pour notre famille. J'avais également perdu un frère auparavant alors que nous étions encore au pays. Il s'appelait Nizar et avait voulu rester pour se battre, malheureusement le canon a eu raison de sa volonté. Avant, nous étions sept enfants ainsi que nos parents dans une grande maison, mais en 2011, tout a commencé à changer. Ma famille et moi menions une vie paisible or le bonheur n'est jamais éternel. La guerre civile nous a forcés à fuir notre belle Syrie. Nous vivions à Homs, première ville détruite par Bachar el-Assad. Suite aux évènements de début 2011, mes parents ont pris peur et décidé de fuir pour l'Italie, plus particulièrement pour la belle ville de Vérone.
Le trajet jusqu'en Italie fut un étrange mélange de joie et de souffrance. Nous étions heureux de vivre mais tristes de quitter notre pays, nos racines. L'arrivée à Vérone n'a également pas été de tout repos. Nous avons dû remplir toute sorte de papiers et avons fini dans un centre d'accueil aux murs jaunis et couverts de tags. Nous ne dormions pas dans des chambres mais dans des dortoirs à 15. Heureusement que toute ma famille a eu la chance de se retrouver au même endroit. Il était très dur de communiquer avec les gens, aucun de nous ne parlant italien. Alors j'ai pris la décision d'aller suivre des cours donnés bénévolement par une paroisse de la ville. Je voulais aider ma famille au mieux et il me semblait qu'étudier la langue du pays était pour moi la seule chance d'y parvenir. J'avais toujours été une bonne élève et n'avait jamais eu de mal à communiquer. J'aimais parler, j'aimais apprendre, j'aimais aider.
Lorsque j'arrivai au premier cours, il venait de commencer. Je réussis à me glisser sur une chaise au fond me cachant derrière mon voile qui retombait un peu maladroitement devant mon visage. Il me sembla que la fille qui donnait le cours me remarqua car elle sourit dans ma direction et son sourire était si magnifique. Ses lèvres étaient légèrement rosées et ses dents blanches. Il y avait dans son regard une forme d'espièglerie mêlée à une douceur foudroyante. Le brun de ses longs cheveux ondulés brillait dans la légère lueur qui filtrait des stores entrouverts. Quelques mèches s'étant échappées de sa queue de cheval encadraient son visage créant ainsi un jeu d'ombre sur sa peau mate qui avait l'air aussi douce que de la soie de Chine. Il n'y avait pas que son visage qui était magnifique, son corps tout entier l'était. La courbe de ses hanches et le creux de sa taille étaient mis en avant par la jupe moulante qu'elle portait. Sa poitrine était légèrement cachée sous une large chemise blanche mais ses jambes étaient totalement à découvert et mises en avant par les escarpins à talons qu'elle avait aux pieds. Elle était tout bonnement parfaite.
Lorsqu'elle parlait, je l'écoutais comme si elle chantait un opéra. Je ne comprenais pratiquement rien à ce qu'elle disait mais sa voix était si douce et captivante. Tout en buvant chaque syllabe qui sortait de sa bouche, je griffonnai sur un cahier que l'on m'avait fourni à mon arrivée au cours. J'étais en adoration sur ses mots alors que je ne connaissais pas leur sens. Elle possédait un petit accent comme la plupart des habitants de la région et appuyait chacune de ses paroles par un mouvement des mains. Peut-être était-ce fait exprès, peut-être était-ce un tic, mais quoi qu'il en soit c'était extraordinaire. Elle avait l'air si sûre d'elle mais ne nous prenait pas de haut. C'était comme si elle comprenait ce que nous vivions, comme si elle savait ce que cela faisait d'arriver dans un endroit inconnu. Elle avait quelque chose d'exceptionnel. Elle était un mélange entre douceur et sincérité.
Il restait à peine dix minutes de cours lorsque je remarquai que ce que j'avais griffonné sur le petit cahier quadrillé était son portrait. Cette réalisation me fit comme un choc. Je ne pouvais passer plus de temps dans cette salle. Cette fille me faisait ressentir quelque chose que je ne connaissais pas encore et cela me terrorisait. Je me levai alors de ma chaise, serrai le cahier contre ma poitrine, glissai le crayon dans ma poche et sortis de la salle.
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... & Juliette
RomanceVérone, 21ème siècle, des réfugiés arrivants de Syrie, des cours d'italien, une histoire d'amour. Un Roméo et Juliette modernisé sans trop s'éloigner du chef d'œuvre de Shakespeare.