behind the door on fire

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Laissez-moi vous conter ce soir atroce où ma vie a basculée, ce soir où j’ai bien crue que j’allais mourir, ce soir où j’ai perdue la raison : c’était un soir de printemps, j’avais alors 17 ans.
     À cette époque, ma grand-mère n’allait pas bien du tout. Elle était à l’hôpital depuis  deux ou trois mois, j’étais allée la voir quelques fois avec mes parents, mais elle ne me paraissait pas vraiment bien aller, elle avait l'air perdue et je ne pouvais m’empêcher de me dire qu’elle ne rentrerait plus chez elle. Et puis aussi ce jour-là il avait fait beau, et je me sentais bien, ainsi, lorsque mes parents m’ont proposé d’aller la voir, avec eux, en cette fin d’après-midi, j’ai refusée. Mon père a alors suggéré d’aller au restaurant pour se détendre après la visite à l’hôpital, l’idée tentait ma mère, mais moi je voulais rester à la maison. Alors sans attendre je leur ai dit que je pouvais bien passer la soirée tout seul. Ils m’ont alors proposé d’inviter des copains. C’est ainsi que je me suis retrouvée ce soir-là avec claire et Ben:  deux amis avec qui je passais la majeure partie de mon temps depuis le début du collège. Claire était rousse aux yeux vert et grande, Ben était très grand aux yeux brun et aux cheveux noir et moi, petite, brune aux yeux bleu.
     Nous nous trouvions dans ma chambre à écouter Nirvana. Sans explications, Claire baissa le volume. Ben et moi le regardions, intrigués, puis finalement d’un air amusé elle nous demanda :
     - Dites, ça ne vous dirait pas qu’on se raconte quelques histoires qui font peur, hein ? Ça me tente.
     J’hésitais, surprise par cette proposition. Finalement Ben accepta, et je le suivis. Alors Claire tout en coupant la musique, nous demanda :
     - Alors ! qui commence ?
     Tout d’abord, aucun de nous ne répondit. Moi j’avais bien une idée d’histoire, mais je n’osais pas trop la raconter....timidement je finis par répondre :
     - Heu… moi….. j’en ai bien une.
     - Ah ?
     - ...
     - Bah allez, vas-y !
     Et je l’ai fait, malheureusement, je l’ai fait : Je me suis assise en tailleur sur le lit, et pendant que d’un air grave je fixais alternativement Claire et Ben,  ils se sont assis autour de moi, au bord du matelas. J’ai laissée passer quelques secondes afin de rendre l’atmosphère confortable, puis j’ai entamée mon récit :
     « C’est une histoire assez terrible dont j’ai entendu parler une fois. Cela se passait il y a quelques années : Un père de famille rentrait chez lui après le travail, il trouva sa maison en train de brûler. Il habitait à la campagne, et il n’y avait pas de voisins pour alerter les pompiers. Il pensa tout de suite à son fils de sept ans qui était peut-être dans la maison, il se précipita alors à l’intérieur, cria pour l’appeler, et… il eut une réponse ! Son fils était bloqué dans sa chambre, le père couru jusqu’à la porte, essaya de l’ouvrir, mais elle restait bloquée : Dans la chambre, une poutre tombée du plafond l’empêchait de s’ouvrir. Il cogna, et cogna encore de toutes ses forces contre la porte, il se ruait contre elle, son fils hurlait, il appelait à l’aide, et lui, il paniquait : la porte ne s’ouvrait pas. Il se rua encore contre elle, il hurlait de rage, pleurait de désespoir, il ne réfléchissait plus, il n’y avait plus que cette porte, et son fils qui hurlait de l’autre côté. Il a appelé à l’aide jusqu’à la fin : Son fils à brûlé dans la maison, et le père aussi. Il n’a jamais réussi à ouvrir la porte, et il est resté à se ruer contre elle jusqu’à sa mort. »
     Claire me regarda l’air dégoûtée, et me dit :
     - Ben dit donc, c’est glauque !
     - C’est pas joyeux en effet, répondit Ben avant que je ne réagisse. Il avait aussi l’air assez choqué par l’histoire.
     C’est alors que, emportée par ce succès, j’ai racontée la suite. J’ai été stupide, elle me faisait aussi peur qu’à eux cette histoire, surtout la suite… et j’ai vraiment été idiote d’avoir continuée, je n’aurais jamais dû, jamais.
     «  Oui, mais vous ne connaissez pas la suite... Parce que depuis lors, le fantôme du père cherche toujours à ouvrir la porte et à sauver son fils. Et si tu dis… heu… je ne préfère pas le dire vraiment... Mais en gros si tu appeles à l’aide en criant « papa », que tu dis que tout brûle, et que tu lui demandes de venir te chercher, cela attire le fantôme, et il arrive derrière ta porte pour te prendre »
     Ben , pensif, me regarda l’air intrigué, et calmement me dit :
     - Purée ça fout les boules, c’est sûr... Mais bon toi, tu as déjà essayée de l’appeler ?
     - Non... ça me fait assez peur comme ça ! Je n’ai pas envie d’aller vérifier. »
     Claire, une lueur d’excitation dans le regard, observa Ben, puis moi, et finalement nous demanda :
     - Hé ! ça vous dirait d’essayer ?
     Je me crispai, comprenant que je n’avais pas du tout envie d’essayer une chose pareille, je regrettai déjà d’en avoir parlée. Mais Ben, lui, semblait y réfléchir, et au bout de quelques secondes il finit par lever la tête et dire « ouais ! Pourquoi pas ! ».
     J’allais leur dire que je ne souhaitais pas du tout faire une telle chose, mais Claire n’attendit pas que je manifeste mon opinion : Sans me porter le moindre regard, elle commença à parler d’une voix aiguë et chevrotante, cherchant à imiter celle d’une petite fille:
     - Papa ! ppaaappppaa, à l’aaaaiiiiiide, tooouuut brrrûûûûle autour de moi, j’ai peeeeeuuurrr !
     Elle souriait, mais moi pas du tout : j’étais vraiment terrifiée. Mais elle souriait, et Ben la regardait avec amusement, sans rien dire. Et elle reprit encore de plus belle, sa voix était maintenant plus forte, elle criait presque :
     - JJEEEEEE BRRRRRUUUUUUULLLE, PPPPAAAAPPPPPAAAAAA, JEEEE BRRRUUUULLLLEEE, AAAAAAAAHHHHHHHH !
     - ARRETE MAINTENANT CLAIRE ! C’EST PAS DROLE.
     C’était sorti comme ça, je la fusillais du regard, je me sentais énervée, mais j’étais surtout terrorisée, j’avais vraiment peur, et je ne voulais pas en entendre plus.
     - Ben... quoi ? T’as peur ? Oh, allez c’est pas grand-chose, non ? C’est une histoire ! c’est tout ! Allez...
     Et toujours ce stupide sourire aux lèvres elle reprit :
     - PAAAAAPPAAAAAA JEEEE T’EEEEENNN SSSUUUUPPPPLLLLLIIEEE, PAPAAAAAA, IL Y A LE FFEEEUU PAAARRRRTTT...
     - TU ! ... ARRETES ! ... MAINTENANT ! ... COMPRIS ? »
     Là elle s’était tue, il n’y avait plus un bruit dans la chambre, Claire me regardait, l’air étonnée, sûrement qu’elle avait été surprise par l’agressivité et la colère que je venais de déployer pour lui crier de s’arrêter : J’en étais d’ailleurs essoufflé, et je la fixais du regard le plus réprobateur et colérique que je pouvais.
     On ne parlait plus, Claire et moi restions là, immobiles, à se fixer mutuellement. Finalement, Ben, tout timidement, finit par dire :
     - Bon, allez les filles, on ne va pas se disputer pour ça, hein les...
 
« BOUM ! ... BOUM ! ... BOUM ! ... »
 
     Nous avons sursautés tous les trois, une décharge d’adrénaline m’a envahi. Je me suis braquée ainsi que mes deux amis vers la source du bruit : vers la porte de ma chambre. Le bruit continuait, impassible et terrifiant :
 
« ... BOUM ! ... BOUM ! ... BOUM ! ... »
 
     - C’est quoi ce boucan ! s’écria Claire dont la voix couvrait à peine le bruit de coups de plus en plus fort qui provenait de la porte.
     - Si c’est une blague, c’est vraiment pas drôle, rétorqua Ben qui se tenait maintenant debout, plaqué contre le mur opposé à la porte. Il semblait mort de peur, il fallait dire que moi aussi je l’étais.
     Et puis là, en prime des coups contre la porte, ont commencé les cris, ces horribles cris qui malheureusement resteront je crois bien à jamais gravés dans ma mémoire. Je peux les entendre encore aujourd’hui alors que je vous parle : Cela ressemblait à un monstrueux mélange entre le brame d’un cerf et le cri d’un éléphant, même si cette description ne me semble pas si proche de la réalité, je ne trouve pas trop de comparatifs pour l’exprimer. Ce cri était en tout cas inhumain, aigu et profond, d’une tristesse infinie et d’une agressivité sans nom... Et les coups contre la porte, et ce cri horrible, continuaient, sans relâche… sans la moindre trêve. J’étais terrorisée, je m’étais rabattue vers les oreillers du lit, et je les serrais d’ailleurs très fort. Claire elle, plus valeureuse, même si elle n’avait pas l’air très fière, avait saisi ma chaise de bureau, et la brandissait, prêt à frapper ce qui pourrait entrer dans la chambre.
     Mais ce fut Ben qui paniqua le plus, les cris immondes avaient dû finir de ronger les dernières subsistances du courage qui l’empêchait de s’écrouler : Il était maintenant assis contre le mur, recroquevillé sur lui-même, son visage était tout rouge, il pleurait, il gémissait, mais entre ses larmes il finit par parler un peu :
     - ooohhhhh noooonnn, c’est quoi ce truc, j’ai peeeuuur, à l’aide, à l’aaaiiiide.
     Immédiatement, comme pour répondre aux geignements de Ben, le cri se fit encore plus fort, encore plus déchirant, encore plus terrifiant. Cette fois-ci les coups redoublèrent contre la porte, elle était parcourue de soubresaut, mais bizarrement ou plutôt monstrueusement, elle restait fermée, et ne se brisait pas.
     Puis la panique finit d’envahir Ben, il se leva, ouvrit la fenêtre, et tout en pleurant nous dit :
     - J’veux pas rester là moi, j’préfère tenter ma chance par dehors.
     - Non, fais pas...
     Mais j’eus à peine le temps de réagir, qu’il était déjà en train de se laisser glisser par l’encadrement de la fenêtre. Et le temps de me lever du lit pour aller le retenir, je l’entendais déjà glisser sur les ardoises du toit… puis, je ne l’entendis plus. Son silence m’a semblé durer très longtemps, et ce fut son cri, déchirant, qui me renvoya à la réalité :
     « AAAAAHHHH, J’AI MMAAAAALLL ! JE SUIS TTTTOOOOMMMBBEEEEE ! MMMOOONNNN DDDDOOOOSSSS, AAAAAHHHH J’AI MMAAAAAALLLL ! »
     Et là l’horreur fut totale : A travers l’encadrement de la fenêtre, je regardais Ben, qui hurlait, gisant sur la terrasse du jardin, en bas. Et les cris émis par ce qui était derrière la porte devinrent complètement fous et assourdissants. Les coups portés devenaient plus fréquents, à un rythme monstrueux, insoutenable : Je devenais fou, tout cela était un cauchemar implacable, terrifiant, et les cris de Ben qui agonisait en bas ne faisaient qu’ajouter à l’horreur de la situation. Surtout que ni Claire ni moi ne pouvions sortir de la chambre pour lui venir en aide.
     Et l’odeur ! Je ne m’en étais pas rendue compte au début, mais maintenant l’air de la chambre en devenait suffocant tellement la puanteur était atroce. Une odeur de viande pourrie, mêlée à celle de cochon brûlé : et mon dieu c’était insoutenable, abominable. Je me suis détournée de la fenêtre : je vis Claire qui restait immobile, debout, sa chaise dans les mains, les yeux écarquillés, elle avait l’air ailleurs. Je me demandais comment elle faisait pour rester en plein milieu de la pièce, alors qu’elle baignait dans cette puanteur. C’est alors que sans bouger plus que la main, elle finit par lâcher sa chaise, puis un soubresaut la parcourue, elle se courba en deux, et vomis abondement sur la moquette. La vision que j’avais devant moi de Claire vomissant, le son que cela produisit, ainsi que l’odeur qui se mêlait à celle immonde de viande pourrie et brûlée, en était trop pour moi aussi, et je vomis à mon tour.
     Je me sentais fatiguée, je m’appuyai dos au mur, Ben continuait d’hurler au dehors, et les coups sur la porte n’arrêtaient plus, ils avaient encore redoublé. J’eus alors l’idée que les cris de Ben au dehors pouvaient stimuler la source de tout cela, et sans réfléchir d’avantage, je me retournai vers la fenêtre et la refermai avec empressement. J’eus du mal à expliquer à Caire pourquoi j’avais fermé la fenêtre, pourquoi on allait pas aider Ben. Mais il fallait arrêter de faire du bruit, des geignements, des plaintes qui pouvaient attirer ce qu’il y avait derrière la porte. Il fallait attendre qu’il s’en aille, avant de descendre au rez-de-chaussée appeler quelqu’un au téléphone pour venir en aide à Ben. claire finit par comprendre, et nous nous sommes calmement assis, terrifiées malgré tout par cette ambiance cataclysmique de coups ininterrompus contre la porte, par ce cri immonde qui nous perçait les tympans, et par cette odeur insoutenable qui se mélangeait maintenant à l’odeur de nos vomissures.
     Et nous avons attendue que tout cela s’arrête, nous étions assises en tailleur, à même le sol, sans bouger, pales et terrifiées. Progressivement les cris se sont calmés, l’odeur s’est atténuée, et les coups contre la porte ont baissé en fréquence et en intensité… jusqu’à ce que le silence revienne enfin, et que nous pouvions de nouveau entendre, étouffés à travers la fenêtre fermée, les cris de douleur de Ben qui gisait toujours au dehors.
     claire me regarda alors, et à voix basse me demanda :
     - A ton avis maintenant, qu’est ce qu’on fait ?
     Je réfléchis un peu avant de répondre, puis dit :
     - Il faudrait téléphoner aux pompiers, ou je sais pas… à une ambulance ! Pour venir en aide à Ben.
     - Il est où le téleph...
     - Le téléphone est en bas.
     - Tu penses que c’est parti ?
     - Ben… on ne l’entend plus...
     - C’est vrai...
     - Va falloir descendre… en bas... Heu… j’ai pas trop envie… de… de… sortir. Je…
     - Bon, je vais y aller... De toute façon, il est plus là, hein ?
     - Heu… t’es sûr ?
     - Mais oui.
    Claire se leva alors lentement. D’un pas hésitant, elle s’avança jusqu’à la porte. Saisis doucement la poignée, et poussa légèrement la porte qui s’entrebâilla sur le couloir. L’air amusé elle se retourna vers moi, et dit à haute voix:
     - C’est dingue, la porte était ouverte, il est con ce fan...
     Mais elle n’eut pas le temps de finir sa phrase que comme un éclair, une main surgit de l’encadrement de la porte entrebâillée, se rallongea d’une manière monstrueuse et vint agripper Claire à la taille : Celle-ci restait pétrifiée, sans même crier, les yeux écarquillés. A première vue, la main, et le bras m’avaient semblé de couleur noire, mais à cause des petites brillances, de ces sortes d’écailles que je discernais dessus, j’eus l’horreur de deviner que toute la peau de ce « bras » qui s’enroulait maintenant autour de la taille de Claire était entièrement brûlée. D’ailleurs l’odeur de porc brûlé et de viande pourrie revint m’assaillir les narines.
     Je n’eus que le temps de me lever avant de voir Claire disparaître sous mes yeux, emporté dans le couloir à une vitesse impossible, puis la porte se referma dans un claquement assourdissant. Je courus jusqu’à la porte, mais je ne voulus pas y toucher, je ne voulais pas l’ouvrir. Je criai alors le nom de Claire, j’ai bien dû rester là pendant une éternité à crier son nom, mais rien, aucune réponse.
     Et je n’avais pas osé ouvrir la porte : j’avais peur que cela soit encore derrière. Toujours comme aujourd’hui d’ailleurs : En effet, même maintenant j’ai encore la peur d’ouvrir une porte, mes parents m’ont amenée chez le psychiatre après ce soir-là, mais je ne lui ai jamais rien dit, ni à personne d’ailleurs, pas même à mes parents. De toute façon, ils ne me croiraient pas.
     Personne ne revit jamais Claire on m’a demandé si je l’avais vu ce soir-là, mais j’ai dit que non, et Ben en fit de même... : Lui, il passa un mois à l’hôpital, il s’était cassé les côtes en tombant du toit... Et aussi bien lui que moi sommes maintenant toujours terrifiés quand nous nous retrouvons face à une porte fermée : Nous avons toujours peur qu’un jour cela vienne nous chercher à notre tour, nous n’osons plus ouvrir la moindre porte de peur qu’il soit de l’autre côté. Oui, nous avons et aurons maintenant toujours peur de ce qu’il peut y avoir... derrière la porte.
 
 
 































































































      

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