- Marche Trois -

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M A  R   C    H     E      T       R        O         I          S

je crois que j'ai

faim

il fait vide à quelque part il me semble qu'il y a un trou

une entité faite de vide qui emplit mon être

qui l'absorbe et l'entraîne le traîne jusqu'aux limites

de ma prison

un trou

qu'il est possible de combler

alors je 

m a n g e

je dévore ce que je vois je me nourris de ce que j'entends j'en demande encore

j'aimerais pouvoir le remplir entièrement mais toujours il se vide toujours il se creuse

je n'entends rien je ne vois

rien il fait vide

autour

dehors ils ont eu faim oublié la sensation appris à l'ignorer

peut-être que c'est pour ça que je suis là pour ça que je suis seul

si j'étais parmi eux je dilapiderai certainement leurs ressources je les confronterai au vide ils risqueraient de

chuter

je ne suis pas sûr de vouloir l'oublier la faim pas sûr de vouloir la doubler

c'est un moteur la faim elle pousse à chercher à dépasser elle force à trouver

j'ai faim

je sais

que quoi que je mange elle sera là quoi

que j'avale elle ne me laissera

que je trouve elle m'accompagnera

toujours

j'ai faim

je veux

pouvoir dévorer le monde sans m'arrêter me repaître de ce monde que je ne perçois qu'emmuré

je voudrais manger ces cloisons pour pouvoir voir dehors pour pouvoir manger dehors

manger

le monde

mais les murs ils protègent ils me cachent

le monde ils assourdissent les sons moi je suis seul

peut-être que derrière il y a quelqu'un il y a quelque chose

dont le goût m'échappe

je sais que la saveur des murs jamais ne me lassera parce qu'ils sont trop vastes secrets

ils ont beau être lisses je peux voir les crevasses qui les parsèment et m'y engouffrer engloutir

ce qui s'y cache

nouveaux toujours mais familiers encore jamais

fades

j'ai faim

dehors je ne connais pas dehors

il doit y avoir des choses à découvrir dehors

des choses à dévorer dehors

mais tout ça m'inspire la

nausée

parce que

je ne veux pas

quitter

laisser

les murs inexplorés

me mêler

au monde

m'y plonger

noyer

étouffer

de monde

étouffer sous

les idées qui naissent et

me suivent

tourbillon d'idées qui ne peut s'envoler condamné à

stagner sans s'échapper obligé d'évoluer se renouveler

ne restent jamais fixées les idées sont

joueuses capricieuses trompeuses sont

fausses

ne peuvent être vraies les idées ne sont pas gelées

ne peux pas les saisir pas même les batir sont libres indépendantes de ce que je suis

occupent l'esprit elles peuvent murir pour s'épanouir muter mourir peut-être car elles ne sont pas éternelles sont

faibles car sans cesse en guerre prennent la place d'une autre et la soufflent disparait

parfois elles s'allient et elles grandissent sont fortes sont sûres parfois

elles commencent à se fixer à geler toujours

je souffle et elles s'en vont d'autres apparaissent sans cesse

peut-être que c'est ça qui les effraie les leur sont ordonnées bien rangées dominées sont domptées

leurs pas à eux sont réguliers je crois qu'ils résonnent et qu'ils me hantent ils me suivent comme s'ils marquaient une cadence à laquelle je ne peux me plier de laquelle je ne peux m'échapper

les idées trottent et se pressent elles tournent et se dressent contre ces murs et les échos implacables de leurs pas s'étouffent s'éteignent

les murs

protègent

Surplus. crâche doute et

vomit crainte

régurgite effroi et libère faim je

retiens

les plaintes ne

digèrent les doutes elles

saccagent les appuis de ma

prison mon cachot mon

abri

alors

je

tends

l'oreille

Avant QuinzeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant