CORNEMONT

SCÈNE 2 : MOYEN-ÂGE - FORÊT DE CORNEMONT

Une clairière ensoleillée dans la forêt médiévale de Cornemont.

Musique grandiose d'une ouverture de chasse, avec force cors et aboiements.

Une meute de chiens traverse précipitamment la scène de gauche à droite.

Arrivent à leur suite le DUC LÉÜSE, vêtu de ses habits de chasse, ses GARDES ainsi que le PÈRE CÉVÈRE. Les GARDES s'élancent à la poursuite des chiens, et la musique s'estompe.

LÉÜSE

Ah, cornedieux ! Il y avait des lustres que je ne m'étais livré à une petite balade matinale en forêt. J'en avais besoin, sais-tu, curé ? L'humidité de ce château commençait à me raidir les membres, à l'exception peut-être du plus intéressant...

LE PÈRE CÉVÈRE

Seigneur Duc, fais donc comme tout le monde, et m'appelle « mon Père ».

LÉÜSE

Ha ha ha ! Navré, curé, même mon vrai père n'y a eu droit de sa vie ! En vérité, je n'ai même jamais su s'il le méritait vraiment ! Ma mère avait ses petites affaires. Tu verras, quand tu auras des enfants, s'il est aisé de les convaincre que c'est bien toi le père !

LE PÈRE CÉVÈRE

Ces considérations, seigneur Duc, n'entrent pas dans ma vocation. Mais en un sens, tu as raison : il n'existe au fond qu'un seul Père, et c'est à nous de le convaincre de notre bonne foi.

LÉÜSE

Garde donc ta salive, curé. Ton haleine sent déjà le sermon à une lieue. Pouquoi faut-il toujours que tu viennes gâter mes parties de chasse avec tes prêches rabat-joie ?

LE PÈRE CÉVÈRE

C'est que cette contrée nous est encore mal connue. Je ne saurais laisser Monseigneur s'aventurer sans la protection d'un homme d'Eglise dans une forêt où bouillonnent tant de prodiges.

LÉÜSE

Nous y revoilà ! Ne te fatigue point encore à me farcir les oreilles avec ces sornettes, tu as déjà essayé trop souvent.

LE PÈRE CÉVÈRE

C'est pourtant un fait, Léüse : les bois de Cornemont sont réputés être un terroir à miracles. Je te connais pour un sensuel invétéré, et pourtant je sais bien que tu ne peux être totalement insensible à la présence de notre Seigneur dans ces parages sauvages. Car il est clair que Dieu éprouve pour ces terres un intérêt particulier. C'est dans cette forêt, souviens-toi, que Saint Glinglin est venu rendre l'âme après son martyre sur la colline, et les paysans de la région ne cessent de l'apercevoir se promenant à l'ombre des saules feuillus, portant sa tête dans ses mains coupées.

LÉÜSE

Et avec quoi porte-t-il donc ses mains ?

LE PÈRE CÉVÈRE

Gare au blasphème, Sire Duc ! Ignores-tu que les manants qui habitent aux alentours de cette forêt sont intarissables lorsqu'ils évoquent les merveilles dont ils ont été témoins ?

LÉÜSE

La vinasse ! Tu te laisses donc influencer par ce que racontent ces péquenots ahuris ?

LE PÈRE CÉVÈRE

Certains disent avoir vu courir dans la forêt un cerf argenté, portant sur ses bois la croix lumineuse de notre Sauveur...

LÉÜSE