Etoile filante

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  Les aventures de la veille m'avaient troublées. Dès que j'y repensais, je sentais le rouge me monter aux joues et un sourire naître sur mon visage. Avais-je rêvé ? Non, impossible, je me souvenais trop précisément de l'odeur de son parfum, et de tous les détails de notre danse. Alors était-ce vraiment réel ? Je me crus dans un rêve. A chaque pas, je me sentais léger et flottant, et me surpris même à chanter et à danser avec une créature imaginaire. C'était trop beau pour être vrai , mais c'était vrai ! Dans mon armoire, je pris le costume que je chérissais le plus, celui que ma mère m'avait offert pour mon précédant anniversaire, et que je ne devais mettre qu'à une occasion exceptionnelle. Ah ma chère et tendre mère... Elle me manquait tant. 

  C'était dans une boîte recouverte de pierres précieuse, à l'abri des regards et de la poussière, qu'était disposé le masque assorti. 

  Je pris la décision de ne pas me changer tout de suite et descendis vers la Grande Salle. Il était encore tôt, mais elle était déjà pleine de monde ; les serviteurs préparaient la pièce car aujourd'hui était une journée particulière. C'était la dernière soirée du Bal, mais surtout officiellement la fête des étoiles. Cette nuit, à minuit, commençait la pluie d'étoiles filantes, et c'est à ce moment là que tout le monde devait retirer son masque. J'étais déjà impatient à l'idée de voir Alhéna sans artifices, alors que cela n'allait arriver que dans plusieurs longues heures . 

  Le temps s'écoulait, et l'heure du bal approchait dangereusement. J'avais organisé tout un planning pour que ce jour, aux côtés de la belle Minette, soit un jour inoubliable. Après avoir récité tout ça plusieurs fois mentalement, je me dirigeai vers mes appartements pour revêtir le fameux costume que ma mère avait fait sur mesure, aux dimensions de mon père bien sûr, car je n'étais à cette époque qu'un jeune lunaris qui chassait encore sa queue. Au fur et à mesure que je dépliai le costume, mes yeux s'agrandissaient. Il était vraiment magnifique. D'un rouge aussi pur que le plus précieux des rubis , et aux milles arabesque d'un rouge plus profond encore. Il scintillait de mille feux alors que je ne discernais aucune paillette ou strass de ce genre. Quand je sortis le masque de sa malle, c'est ma gueule qui s'ouvrit petit à petit. Il allait à merveilles avec le costume, la seule différence était ces quelques pierres précieuses parsemées autour des yeux.

  Quand je me vis dans le miroir, je ne me reconnus pas. Je semblais plus âgé, plus puissant, et cela me plus.

  Je fus vite de retour dans la salle du bal, qui avait beaucoup changée entre temps. Au moment même où je m'approchai de la porte, je vis Alhéna. Cette fois, mes yeux et ma gueule s'agrandirent en même temps. Elle ne portait pas de cape comme la veille, seulement un masque bleu nuit orné d'une étoile jaune scintillante en son milieu . Autour de son cou pendait une pierre précieuse aussi bleue que son masque, simplement retenue par une petite cordelette argentée. Probablement un Saphir ou une Kyanite, dans son état le plus pur. Je me pris vite en main, et d'un pas assuré me dirigeai vers elle. Ses lèvres s'étirèrent en un timide sourire qui s'agrandissait au fur et à mesure que je m'approchais d'elle. Je remarquai un bracelet à sa patte gauche, de la même pierre que son collier. 

  « Bienvenue en cette dernière soirée de bal Alhéna, lui fis-je poliment, Comment allez vous ?

- Bien , me répondis-t-elle simplement, Et vous ?

- Tout aussi bien , continuai-je, Joignez vous à moi, vous vous ennuierez moins.»

Elle hésita.

  « Si vous ne voulez pas rester avec moi pour toujours, restez au moins avec moi jusqu'à la fin du bal, je souhaiterai tellement voir les étoiles à vos côtés.  Si vous le voulez tant, nous pourrons nous séparer après cela.»

Elle acquiesça.

  M'assurant qu'elle me suivait, je me dirigeai vers un petit escalier qui menait à l'étage. Voyant qu'elle hésitait, je lui pris la patte et accélérai. Une fois à l'abris des regards, je lui fis visiter chaque pièce, après avoir vérifié qu'elle était bien vide. Personne n'avait remarqué notre disparition et nous nous divertissions bien à courir partout et à déranger tout ce qui avait été minutieusement rangé. Une fois de plus, elle s'amusait comme une folle et cela se voyait. Un bruit stoppa nos mouvements, un garde entra, et en nous apercevant, appela des renforts. Nous ne devions pas être là. 

  D'un bon, Alhéna et moi nous élançâmes dans les couloirs, tournant à chaque intersection et montant dès que nous en avions l'occasion. Nous nous arrêtâmes net au dernier étage, et après avoir repris notre souffle, explosâmes de rire.  Après nous être assurés que les gardes avaient perdu notre trace, je l'emmenai sur un balcon où poussaient mes fleurs préférées . Roses de toutes les couleurs, tulipes, magnolias, lys, arums, bleuets, camélias, coquelicots, crocus, dahlias, digitales, gentianes, iris, jacinthes, jonquilles, muscaris, myosotis, perce-neiges... Je pris la plus belle des roses et la lui tendis, elle en était ravie.

  La lune était déjà haute, il devait être près de minuit. J'allais enfin pouvoir enlever le masque d'Alhéna. La tirant de ses rêveries fleuries, je pris ses pattes entre les miennes, et mon regard plongea dans le sien.

  «  Qui es-tu, Alhéna,  duchesse de Cardigan, pour disparaître aussi promptement quand cela te fait envie ? lui demandai-je

- Et bien, je ... je suis une étoile. me répondit-elle

- Ne me mentez point, ma belle, je suis à votre écoute et je ne dirais rien à personne.

- Je suis vraiment une étoile... Du moins, j'ai décidé de les rejoindre... »

  Sa voix était tremblotante. Je ne voulais point qu'elle pleure comme la veille, alors je tentai de la rassurer. 

  « Je... je vous aime Alhéna. Ne partez point, ne me laissez pas seul... D'ailleurs rejoindre les étoiles est impossible, alors restez à mes côtés, je vous en supplie ...»

  J'essayais de paraître naturel et convainquant, mais ce n'était pas simple.

  « Je ne peux,  Rigel, et au plus profond de vous, vous le savez bien. Mais sachez que moi aussi je vous aime, et que cela ne changera jamais.  »

  A peine eut-elle fini de parler que la pluie d'étoiles filantes commença. Alors qu'elle admirait ce feu d'artifice naturel, j'en profitai pour détacher délicatement son masque puis le mien. Elle était encore plus belle comme ça, et je ne pus que l'admirer. Quand son regard croisa le mien, je me noyai dans ces yeux devenus bleu nuit, un bleu plein de tendresse et d'amour. Elle ferma les yeux, puis je fermai les miens, et nous nous embrassâmes. Sa patte se desserra, la rose tomba et rejoignis nos masques qui gisaient à terre. 

  Alors que j'entrouvris les yeux pendant ce moment de pur douceur, je vis son corps se désintégrer en petites particules qui se dirigeaient vers le ciel. Je ne tentai pas de l'en empêcher, mais fis tout mon possible pour profiter un maximum de l'instant présent. Une fois encore, je perçus son doux parfum, qui s'estompait de plus en plus. Mais quand je rouvris les yeux pour l'admirer, elle avait disparu. Il ne restait d'elle que quelques dernières particules qui étaient déjà trop hautes pour que je puisse les atteindre.  Quand la dernière disparut dans la nuit, une puissante lumière m'éblouit, et l'instant d'après, une étoile, la plus belle et la plus merveilleuse que je n'avais jamais vu, fila à travers l'espace, vers un monde meilleur.  

  Je ne le remarquai pas tout de suite, mais je pleurais. Les larmes coulaient une à une, zigzaguant à travers mon pelage pour s'écraser sur le carrelage du bacon. Mon regard se brouilla , mais je continuais à fixer l'étendue infinie du ciel.

« Je t'aimerais jusqu'à ma mort, je te le promets »

  Mes paroles résonnèrent dans le vide de la nuit et restèrent sans réponse. Je me retournai, et remarquai que son masque était toujours là, près du mien et de la rose. Je pris bien soin de ramasser ces trois objets, et rentrai.

  Le soir, alors que les larmes m'empêchaient de dormir, je pris le masque d'Alhéna entre les pattes et l'examinai de plus près. Il portait toujours son odeur. Son doux parfum que je n'avais jamais réussi à déterminer . Quand je retournai l'objet pour observer l'autre côté, je remarquai, écrit en lettres dorées qui luisaient malgré l'obscurité, la phrase suivante : 

« Puissions-nous nous retrouver.»

Amoureux d'une EtoileOù les histoires vivent. Découvrez maintenant