Chapitre 13 : La détermination de la Louve

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Rohan, de l'autre côté du Grand Fleuve

Eyàn contempla un moment les miroitements du soleil sur l'eau qui courrait à ses pieds, songeuse. Elle plissa les yeux pour tenter de percer l'ombre des bois étendus de l'autre côté de la rive mais ne décela aucun mouvement. Son regard se porta en amont, vers les cascades fumantes qui s'enchaînaient par paliers. Une impression d'étouffement la traversa alors qu'elle se remémorait la poigne des rapides et l'implacabilité des fonds. Ses yeux glissèrent vers l'aval, moins agité mais tout aussi vif. Elle n'hésita guère d'avantage avant d'entreprendre de descendre le fleuve.

- Vous prétendez chercher votre frère et pourtant vous négligez les pistes, fit remarquer Grand-Pas dans son dos.

- Oh vraiment ? Grinça-t-elle sans se retourner.

- Des Orcs sont passés ici avant nous.

- En quoi cela devrait-il m'importer ?

- Vous inquiéter, corrigea-t-il. Ces terres grouillent d'ennemis ces temps-ci.

Eyàn rajusta la hanse de sa besace sur son épaule. Le poids, si inconséquent soit-il, de son chargement, attisait la douleur de ses côtes. Elle s'efforçait de n'en rien montrer à Grand-Pas, mais la marche forcée qu'elle s'imposait faisait perler la sueur à son front et crispait ses traits.

- S'ils nous devancent bel et bien, la sécurité de mon frère est la seul chose dont je doive m'inquiéter, fit-elle sèchement remarquer.

Le Rôdeur la rattrapa en quelques enjambées.

- Votre frère, dont nous n'avons relevé aucune trace, souligna-t-il.

La Louve tiqua sur le «nous», mais se borna à répondre :

- Je n'ai parcouru qu'une seule rive.

Après quoi ils n'argumentèrent plus pendant un moment. Seuls se faisaient entendre le chant du fleuve et le murmure des arbres. Rongée d'angoisse pour son frère, Eyàn restait parfaitement insensible à la sérénité de son environnement. Elle tâchait de se focaliser sur son objectif afin d'éloigner de ses pensées les trois compagnons de route dont elle se serait bien dispensée : la solitude, la souffrance, et Grand-Pas.

Jamais encore n'avait-elle voyagé seule. Accoutumée à la proximité de sa meute, ou tout du moins d'Arsan, la jeune femme se sentait comme amputée d'un membre. Aurait-elle pu cultiver l'espoir des retrouvailles, le vide dans sa poitrine l'aurait peut-être moins affligé. Mais ses blessures la tourmentaient sans répit et lui brouillaient l'esprit. A tout cela s'ajoutait la présence du Rôdeur, dont elle ne parvenait pas à se débarrasser.

- Il y a un gué à quelques lieux d'ici, indiqua tout à coup ce dernier.

Elle hocha la tête sans répondre. Tandis qu'ils marchaient côte à côte, elle l'observa à la dérobée. Grand-Pas se montrait alerte et prudent. Il marchait sans bruit, le visage couvert par son capuchon en dépit de la chaleur. Lui ne se laisserait pas prendre par surprise, songea-t-elle. Même s'il ne semblait ne pas la surveiller, elle savait qu'il guettait le moindre de ses mouvements.

Le gué leur apparut là où l'avait annoncé le Rôdeur. Le cœur d'Eyàn s'emballa sous le coup de l'impatience. Elle avait la certitude viscérale que la traversée du Fleuve la rapprocherait de son frère. Son instinct la guiderait vers lui, elle n'en avait aucun doute. Le sang qu'ils partageaient ne leur faillirait pas.

L'eau jusqu'aux genoux, elle s'évertuait à garder l'équilibre sur les pierres glissantes, redoutant de chuter et d'être de nouveau la proie du cours impétueux, lorsque ses narines frémirent d'une odeur qui lui fit releva brusquement la tête. Une odeur de chevaux. Les chevaux que montaient les cavaliers de Minas Vidyll. Une bouffée aigre-douce d'espoir et d'anxiété monta en elle. Elle tenait une piste. Lui restait à trouver Arsan avant les Hommes.

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