SCÈNE 11 : TEMPS MODERNES - LES GROTTES CHAMPIGNONNIÈRES

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Même décor qu'à la scène 7. À gauche arrive LE PÈRE CÉVÈRE, nu comme un ver et visiblement désorienté. Il observe les lieux avec circonspection, jusqu'au moment où il prend conscience de son état. Gêne et stupéfaction.

LE PÈRE CÉVÈRE

Seigneur ! Qu'est-ce donc que cette diablerie ? C'est sûrement cette sorcière qui... où est-elle passée ? Enfin, au moins j'ai réussi à semer ces trois péquenots. Et puis, ici au moins, il y a un peu de lumière. Mais où diable ai-je pu tomber ? Cela fait des heures que j'erre par ces galeries noires. Je crois bien que je me suis perdu. Et j'ai une de ces faims ! Voyons si ces champignons...

(il en cueille un qu'il renifle)

Mmh ! Celui-ci semble comestible. A la bonne heure ! Mangeons.

(il le mange)

Quelle singulière saveur... je me demande si... est-ce que ce n'est pas...

UNE VOIX CAVERNEUSE

Céééééévèèèèèèrrrrrrreeeeee...

LE PÈRE CÉVÈRE

Quoi donc ? Qui est là ?

LA VOIX

Cééééééévèèèèèèèèrrrrrrrrrrrrreeeeee...

LE PÈRE CÉVÈRE

Qu'y a-t-il ? Qui êtes-vous ?

LA VOIX

Ne reconnais-tu pas la voix de ton Seigneur et maître, Cévère ?

LE PÈRE CÉVÈRE

Vous, Seigneur ? Non !

(sur un promontoire, dans un faisceau de lumière, apparaît SAINT GLINGLIN, dont les mains coupées, flottant au bout de ses bras, portent la tête)

Non !

SAINT GLINGLIN

Cévère ! Tu as grandement fauté contre la volonté du Ciel en entrant dans ces cavernes infernales ! Tu dois faire pénitence !

LE PÈRE CÉVÈRE

(tombe à genoux)

Pitié, Seigneur, j'y suis entré contre mon gré, et maintenant je suis perdu !

SAINT GLINGLIN

(le montre du doigt)

Tu as suivi cette Babylonienne jusques en ces lieux interdits, et tu as voulu commettre avec elle le péché de chair...

LE PÈRE CÉVÈRE

C'est faux, Seigneur, je voulais seulement la châtier... la ramener au château...

SAINT GLINGLIN

Il te faut à présent t'amender et gagner ton pardon, ou tu ne seras plus digne de porter la robe des hommes du Seigneur, robe que tu as d'ailleurs oublié de revêtir...

LE PÈRE CÉVÈRE

Ce n'est point ma faute, Seigneur...

SAINT GLINGLIN

TOUT est ta faute, ta très grande faute, Cévère, et il te faut maintenant te racheter. Pour cela, tu devras...

(par un geste maladroit SAINT GLINGLIN fait tomber sa tête au sol)

Hum !

LE PÈRE CÉVÈRE

Oui, Seigneur ? Oh !

(il voit la tête par terre devant lui, et SAINT GLINGLIN lui fait un signe du doigt, sur lequel il la ramasse et la lui relance)

SAINT GLINGLIN

(attrape la tête)

Merci. C'est bon pour cette fois. Mais tâche de sortir bientôt de ces cavernes fétides, ou il t'en coûtera...

LE PÈRE CÉVÈRE

Entendu, Seigneur.

( SAINT GLINGLIN disparaît ; sur ces entrefaites résonne la voix de L'ABBÉ CÉDÈRE, qui arrive en chantonnant. LE PÈRE CÉVÈRE se cache derrière une paroi.)

L'ABBÉ CÉDÈRE

(arrive par la droite, lampe-torche à la main, un panier sous le bras)

Pom popopom pompom... ah ! La réserve spéciale... hé hé hé ! Grand benêt ! Comme si j'allais lui laisser tout le gâteau ! Déjà qu'il se taille la part du lion ! C'est que j'ai moi aussi ma petite clientèle à satisfaire, discrète mais fidèle. Et puis après tout, comme dit la pub à la télé : « les champignons Cornemont, c'est cornement bon ! » Ha ha ! Quatre rondes par jour ! Heureusement que l'Abbé Cédère veille au grain. Allez, en avant pour la cueillette de la semaine. Pom popopom...

(il se baisse et cueille en fredonnant)

Ha ! Les basses-œuvres ! Le cul de la chemise, hein ? Grand nigaud ! Ça se donne des airs... tout ça parce que ça porte un nom à particule... ce n'est pas parce qu'on s'appelle Cornemont qu'on...

(dans le faisceau de la lampe apparaît furtivement le visage du PÈRE CÉVÈRE, qui s'abaisse aussitôt derrière la paroi)

Aah !

(silence)

Qui... qui est là ? Ho ! Il y a quelqu'un ? Répondez ! Qu'est-ce que vous faites ici ?

(il contourne la paroi et se retrouve face au PÈRE CÉVÈRE, toujours caché derrière)

Ciel !

(L'ABBÉ CÉDÈRE se retourne brusquement pour ne pas regarder)

Mon pauvre, que... que faites-vous dans cette tenue ? Vous n'êtes quand même pas...

(il le regarde timidement)

Mais depuis quand êtes-vous dans cet état ? Vous devez avoir faim... ne touchez pas à ces... ils ne sont pas comestibles ! Mais vous... vous devez être gelé... laissez-moi une minute, le temps de monter à la remise, je vais vous ramener... une couverture, ou quelque chose... vous restez là, hein ? Ne bougez pas... À tout de suite !

(il court vers l'escalier, non sans déraper dans la boue au passage, et monte les marches quatre à quatre ; une fois qu'il est parti, LE PÈRE CÉVÈRE, rouge de honte, sort de sa cachette et s'éclipse par où il est venu, juste avant le retour de L'ABBÉ CÉDÈRE)

Tenez, mon brave, voici un long manteau qui vous tiendra... hé ho ? Vous êtes là ? Hé ho ! Revenez, enfin ! Je n'ai pourtant pas rêvé !

(il inspecte brièvement les alentours, puis jette un œil soupçonneux aux champignons)

Je vois... saletés de champignons ! Décidément ! C'est vraiment la dernière fois que j'en prends ! Mais vraiment ! La dernière ! Oui ! Bande de petits cloportes, cette fois c'est fini ! Je ne m'y laisserai plus prendre ! Ah ça, vous m'en aurez fait voir de belles, mais là, c'est la goutte de pot qui fait déborder le vase ! Franchement, on n'a pas idée. Et puis pourquoi faut-il que je voie des choses comme ça ? L'inconscient qui travaille, peut-être. Mais c'est bizarre, normalement je préfère quand même les femmes... enfin, j'espère... pouh ! Fait chaud, tout à coup... tant pis, la cueillette attendra... on verra demain... ou après-demain...

(il se sauve par où il est venu)

FIN DE LA SCÈNE 11

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