Arktander Villmann

Chapitre 1

Le son puissant, rythmé par les pas d'un géant furieux et déchiré par la foudre stridente, résonnait partout dans la maison et les murs en tremblaient même. C'était comme si les cieux se déchaînaient pour faire entendre à l'humanité leur violente mélodie métallique, si entraînante que le cœur du petit Arktander aurait voulu s'arracher de sa poitrine pour rejoindre cette autre dimension. Il percevait dans cette musique la pureté des notes aiguës mêlées à la brutalité et pesanteur de la batterie, et tout cela rajouté au rythme endiablé des guitares électriques. Le petit Arktander ressentait cette mélodieuse magie crée par l'homme. Assit devant la baie-vitrée du salon, il contemplait le ciel gris de ses malicieux yeux d'un bleu givré, comme ceux d'un lac gelé perdu dans l'immensité de la toundra. Son corps était de marbre, mais son âme dansait furieusement à l'intérieur de son petit corps svelte. Les mains jointes sur les genoux, il se délecta de cette enivrante mélodie tout en observant attentivement la course turbulente des nuages s'ouvrant le flanc sur les sommets saillant des montagnes.

Soudain, la mélodie cessa et bientôt de chaleureuses paroles retentirent à l'étage. Le petit Arktander se releva précipitamment sur ses frêles jambes puis alla se poster au pied des escaliers, les mains derrière le dos et un large sourire au visage. Son cœur palpita, secoué d'un immense espoir. Une ombre se projeta alors sur le mur, suivit de trois autres. Des pas lourds firent craquer le plancher de l'escalier blanc. Une irrésistible exaltation gagna le petit Arktander puis, comme si ce fusse été son vœux le plus chère, quatre hommes firent leur apparition au dernier tournant. Les musiciens, absorbés dans leur discussion, ne firent aucune allusion au garçon. Seul l'un d'entre eux lui frotta amicalement sa chevelure dorée désormais sauvageonne.

- Papa ! Émit sagement Arktander malgré son excitation. Je peux monter ?

Le plus grand des hommes se retourna. Ses épaules larges, son regard perçant et sa petite barbe grise le rendait intimidant malgré qu'un mince sourire se dessina sur ses lèvres. Il hocha la tête puis retourna sans se préoccuper d'avantage de son fils à sa discussion. Quant à Arktander, il sauta presque de joie et s'empressa alors de rejoindre l'étage, faisant sonner ses pas légers sur les marches de bois. Dans une petite pièce isolée au fond du couloir, il inspecta minutieusement les instruments éclairés par la pâle lumière hivernale. La batterie rouge était à sa place habituelle mais une caisse claire y avait été ajoutée, brillante et neuve. Allongées au sol près de la fenêtre, trois guitares électriques attendaient patiemment Arktander, délicatement déposées sur leurs housses de protection. Le garçon souleva celle qui appartenait à son père, une magnifique guitare gris métallique et où ce gris avait été volontairement usé, comme poncé. De ses petites mains il y joua sa mélodie préférée, entraînante et puissante. Bien qu'il ne fût âgé que de onze ans, il jouait si bien de cet instrument que l'on aurait pu le confondre avec son père, musicien depuis sa plus tendre enfance. Dès lors qu'il eut su marcher, il venait écouter chaque jour le groupe de son père tout en observant la nature sauvage par la grande baie-vitrée du séjour. C'était son rendez-vous quotidien et c'était également le seul moment où il arrivait à contenir sa fougue. D'ailleurs, au rez-de-chaussée, pendant qu'il continuait à gratter énergiquement les cordes de la guitare, quelqu'un sonna à la porte. Son père alla ouvrir, la mine grave et inquiète, tandis que ses amis gribouillaient sur leurs carnets de nouveaux accords. Lorsqu'il ouvrit la porte, il fut à la fois sidéré et désespéré de découvrir une grande femme aux cheveux blonds onduleux et à la bouche fine peint d'un rouge vif.

- Monsieur Villmann ? Demanda-t-elle d'une voix aiguë.

- Madame Barner ! Quel plaisir de vous revoir. Dit-il faussement. Entrez donc.

De ses petits talons bleus, la sévère femme entra dans le séjour, n'adressant qu'un formel signe de tête aux trois hommes stupéfaits de sa présence. Elle posa sur la table de la cuisine son sac à main puis tendit au père sa veste chinée sans même le regarder. Dès qu'il fut revenu, elle le dévisagea de bas en haut, cherchant là une quelconque ressemblance avec son élève. Désespérée, elle soupira.