Ivresse mortelle

Spirale mortifère (suite)

29 juin 2007

La discussion engagée la veille n'avait toujours pas été reprise au petit matin, les deux amants animés par la passion s'étaient endormi enlacés. Avant se sombrer dans un sommeil paisible, Nancy avait tout juste murmuré "On ne pourra pas toujours tout régler sur l'oreiller tu sais..."

Bercé par la respiration régulière de sa femme, Franck n'avait pas tenu compte de la dernière réflexion de son épouse, ni repensé à son irréelle soirée avec Samuel. Aucune créature au long nez n'était venue le visiter en rêve.

A son réveil, il se demandait même si tout cela s'était bel et bien déroulé. Finalement ne s'agissait-il pas d'un banal rêve ? Toutes ces images qui se bousculaient derrière ses yeux ne sortaient-elles pas tout droit de son imagination ? Cette réponse était plus plausible et tellement plus facile à accepter. C'est encore une fois Nancy qui lui donna la réponse sans en avoir eu la moindre intention.

- Je peux savoir où tu as bien pu aller ? Demanda-t-elle.

Elle avait fait irruption dans la cuisine où Franck prenait son petit-déjeuner. Les cheveux en bataille et les yeux encore embués par le manque de sommeil, il contemplait ce qu'elle tenait du bout des doigts. Un air de dégoût sur le visage, elle alternait son regard entre son mari et la chose infâme qu'elle manipulait. Même Franck eut du mal à les reconnaître. Il était très maniaque, ne supportait pas la négligence sur la propreté de ses vêtements. Les récentes baskets qu'il s'était offerte étaient écrues, la paire que lui agitait Nancy sous le nez ne pouvait pas lui appartenir, il n'aurait jamais toléré de porter cette immondice. Pourtant à bien les étudier, il s'agissait bien des siennes, le blanc avait laissé place à de grosses traînées noires comme s'il avait marché au milieu de charbon. Il ne lui fallut pas davantage pour comprendre. Lorsqu'ils avaient foulé ensemble Samuel et lui le sol de ce monde inconnu, Franck s'était fait la réflexion qu'il semblait fait de cendres volcaniques. Il n'avait pas rêvé, la preuve était là et c'est Nancy qui la remuait.

Sa raison devait une fois encore s'acclimater à la déferlante d'émotions qui le traversait. Il se mit à bafouiller, il n'avait jusqu'à présent jamais menti à sa femme.

Il détestait mentir, il avait toute confiance en sa femme et devoir la laisser dans l'ignorance l'insupportait. En plus du mensonge, il haïssait la trahison. Hier, il avait fait une promesse à Samuel, celle de ne rien dire. Face à ce dilemme, sa conscience trancha.

- Oh euh... Samuel et moi sommes allés sur un chantier particulier hier, je n'avais pas vu l'état du sol il faisait sombre c'était en fin de journée, bafouilla-t-il.

Sa réponse aussi vague fut-elle pouvait tout laisser entendre. Ce n'était qu'un demi mensonge. Incrédule, Nancy l'examinait.

- Où est ce chantier ?

- Secret professionnel ma douce, répondit Franck avec un sourire au coin des lèvres. Tu oublies parfois que toi et moi sommes concurrents, on fait le même métier mais pas pour la même agence, acheva-t-il moqueur.

Comme cela avait été facile, cette répartie avait été instinctive et Nancy l'avait accepté avec espièglerie au fond des yeux, annonçant qu'elle allait écumer les différents chantiers de la région à la recherche de ce sol si particulier. Une fois qu'elle fût partie, Franck se rua pour examiner de plus près ses chaussures, il fallait se rendre à l'évidence, rien de tout cela n'avait été un rêve, et ses chaussures étaient belles et bien foutues.

C'est avec une multitude de questions en tête que Franck fit le trajet pour se rendre chez "Archibât'". Étrangement il redoutait le face-à-face pourtant essentiel qui devrait se dérouler entre Samuel et lui. Il était pleinement conscient que la conversation qu'ils auraient mettrait un terme définitif à toutes possibilités d'une énorme farce.