Je suis cet innocent auquel personne ne se fie,
Depuis mes jeunes années cible du mépris.
Je suis la victime mais c'est moi qui effraie,
Car du feu Satan m'a accordé le baiser.D'un net mouvement du poignet suivi d'un pas en arrière, je retire la lance de l'épaule de ce cavalier déchu, de ce chevalier autrefois à pieds, désormais au sol. D'un rapide signe de croix, je remercie cette entité qui veille sur moi après m'avoir maudit dès le berceau. Je ne sais comment j'ai survécu à cette charge, je ne sais pourquoi je suis le seul fantassin encore debout aux alentours. Mais ce que je sais, c'est que ce ne doit pas être pour rien. On ne survit pas à la première ligne sans raison. J'observe un temps cet homme dont l'agonie se prolonge étonnamment, avant de détourner le regard et de m'éloigner un peu pour ne plus entendre ces bruits si caractéristiques de la fin d'une vie. Tenant toujours ma lance de manière à pouvoir l'utiliser de nouveau si l'occasion se présente, je contemple la retraite, que dis-je la retraite, la déroute de ces meurtriers sanguinaires. Un sourire apparaît sur mes lèvres. Nous vaincrons. Nous les vaincrons, mais en plus de cela, nous prendrons leurs terres, leurs richesses, leur nourriture. Pauvres fous. Jamais ils n'auraient dû nous défier. Jamais ils n'auraient dû défier ce peuple si fier et fort que nous sommes. Ils devront en payer le prix.
J'aperçois alors quelques lanciers et hommes d'épées, un peu plus loin, qui comme moi ont survécu. Je rejoins ce groupe qui est en train de se former, attendant les ordres pour savoir si nous nous remettrons en ordre de marche une fois nos effectifs renforcés ou si nous avons droit à un inespérable mais mérité repos. L'arrivée progressive d'une troupe de fantassin et d'un bélier semble nous répondre d'elle-même, mais un noble monté vient tout de même nous confirmer que notre repos devra se gagner. Malgré quelques discrètes protestations, nous nous mettons en une formation serrée attendant l'arrivée du sang neuf, avant de repartir à l'assaut de cette ombre masquant le soleil encore bas à cette heure. Je n'avais pas pris le temps de contempler l'édifice jusqu'alors, et j'aurais dû continuer ainsi. Une vague de désespoir se propage à-travers mes membres, semblant irradier de ma poitrine. La douce onde insidieuse me paralyse un temps, mais l'arrivée de nos renforts me permet de la mettre en partie de côté. Nous laissons passer les premières lignes avant de nous intégrer au cortège, cherchant à nous rapprocher au maximum d'un groupement équipé de boucliers les plus larges possible. Au fur et à mesure que nous approchons, mon appréhension grandit. Quand nous arrivons dans l'ombre de la citadelle, un frisson me parcourt, et je ne sais comment à notre échelle nous pourrions faire tomber pareil monstruosité.
Les flèches commencent à pleuvoir, les pierres ne tardent pas à suivre. Les boucliers sauvent des vies. De nombreuses vies. Mais tous n'ont pas la chance d'être épargnés. Mais nous avançons, encore, toujours, d'un pas rapide mais sans courir. Nous ne formons plus qu'un bloc compact, tous serrés les uns aux autres pour faire face à ce dragon de pierre qui nous fait face. L'odeur de la sueur est atroce, mais ne surpassera jamais celle que je dois subir quand la bête crache son feu, quand l'huile bouillante fait pousser des hurlements de douleur tout droit sortis des enfers à ces pauvres malheureux qui se débattent en vain, ne cherchant qu'à éteindre cette douleur qui les consume. Mon moral en prend un coup. Mais je marche, me rapprochant toujours de la gigantesque porte. Quand le bélier atteint la porte, un bruit sourd retentit tandis que les hommes épuisés qui le poussait le cale sans ménagement contre celle-ci. L'ensemble de la troupe s'arrête progressivement, s'abritant du mieux possible pendant que la poutre est tirée en arrière. Le dragon gronde quand cette dernière le heurte de plein fouet. Pendant ce temps, des échelles de bois sont amenées, les soldats alentours prenant le relais de ceux tombant sous les flèches ou les pierres. Je ne peux qu'admirer ce formidable dévouement, tous ces rouages de cette splendide machine de guerre que nous formons. Les échelles sont hissées, certaines étant directement repoussées par nos ennemis, mais certaines autres résistant, et parvenant à s'accoler au mur d'enceinte. Une ligne d'arbalétrier se forme alors, pour couvrir les hommes qui commencent à monter, portés par l'espoir de terminer ce siège avant qu'il ne débute réellement, mais aussi l'espoir de rentrer enfin chez eux après avoir enfin vaincu. Un second coup sourd retentit. Les premiers hommes atteignent les créneaux, après qu'un certain nombre de nos frères soient tombés. Je regarde derrière moi, une masse étendue continue d'avancer si bien que je ne me pose aucune question quand je m'engouffre dans le sillon creusé par les hommes ayant tenté l'ascension, abandonnant ma lance à un autre. Posant mon pied sur le premier échelon, l'adrénaline se propage rapidement dans mes veines. Je monte, toujours plus haut. L'échelle vacille, j'aperçois à son sommet un homme tenter de la repousser avant qu'un carreau ne l'atteigne et ne le fasse basculer, manquant de faire tomber certains d'entre nous. Un coup sourd retentit de nouveau. Retrouvant mon équilibre, je reprends ma longue ascension précautionneusement, prenant bien garde de canaliser l'énergie qui rayonne à travers chacun de mes muscles.
Après ce qui me semble être une éternité, j'atteins finalement le créneau. Le soldat qui me précède pose enfin pied à terre, et je ne tarde pas à le rejoindre avant de dégainer ma légère lame. Je remarque un écu, toujours accroché au bras de l'homme au carreau. Je le récupère rapidement et me jette dans la mêlée à quelques mètres de là, permettant aux nôtres de continuer d'affluer par la voie que je viens d'emprunter. Je lève mon bouclier juste à temps pour dévier la pointe d'une lance, et abat rageusement la lame dans la direction d'où provenait le coup, mais en vain: je ne tranche que l'air. Je rabaisse alors mon bouclier, le plaque devant moi, et d'un cri rageur charge le lancier qui ne parvient à trouver une solution. Quand je l'atteins, il vacille sous le choc, avant de tomber en arrière et de dégringoler des remparts. Je ne sais quel instinct me pousse à me retourner tandis qu'un soldat me fonce sournoisement dessus dans mon dos pour tenter de me faire aussi basculer. Me penchant en avant, pliant légèrement les genoux pour assurer ma position, je lève de nouveau mon écu, mais fais saillir ma lame de manière discrète pour préparer une riposte. Le choc est rude, mais je tiens bon, et après une fraction de seconde nécessaire pour que je reprenne mes esprits, je frappe d'estoc, ne sachant que j'ai atteint ma cible qu'une fois que j'entends un gémissement surpris. Un coup sourd retentit. D'un coup de mon écu j'éloigne l'assaillant avant de me précipiter pour abattre ma lame sur le dos d'un chevalier en amure. Mauvaise idée. La douleur qui remonte le long de mon bras à cause de l'impact me paraît bien inutile quand je le vois se retourner, la rage emplissant son regard qui ne m'apparaît qu'à travers deux fentes plutôt larges dans son heaume. Il abat alors sa lourde claymore sur mon bouclier qui se déforme sous l'impact et me projette ainsi au sol. Mon bras gauche me fait désormais souffrir, mais ma main d'épée est de nouveau opérationnelle, et alors qu'il relève son arme pour finir le travail, je roule sur le côté, me relève prestement, et profitant de la perte d'équilibre occasionnée par la suspension de son geste en plein mouvement, le tranchant de ma lame quelque peu émoussée pénètre dans l'interstice de son armure séparant son plastron de ses jambières, son épaulière saillante m'ayant empêché d'attaquer son cou. Il hurle de douleur tandis que je repars en direction de l'échelle où je remarque que mes comparses sont en difficulté. M'étant fait oublier des soldats tentant désormais d'annihiler notre offensive après avoir repris l'avantage, j'ai le temps d'en mettre deux hors combat avant que les autres ne se tournent vers moi. J'enjambe alors prestement les deux cadavres pour rejoindre mes compagnons d'armes. Les multiples attaques à répétition du groupe s'étoffant nous encerclant, nous sommes obligés de reculer, jusqu'à être acculés au rempart, n'ayant d'autre choix que de descendre l'échelle qui nous avait permis d'arriver. Un à un, mes frères d'arme commencent à descendre tandis que j'essaie de tenir en respect mes ennemis pour couvrir leur retraite. L'un d'entre eux tente un assaut, je m'écarte, et de mon bras gauche partiellement remis et désormais libre, je l'aide à basculer par-dessus un créneau. Quand enfin, je suis seul, acculé, devant tenir en respect une dizaine de soldats se précipitant pour avoir ma peau, le tir de quelques carreaux bien ajustés me permet de manière inespérée d'avoir la diversion qu'il me fallait. Je franchis la muraille, et me laisse glisser le long de l'échelle, utilisant tant mes mains gantées de cuir usé que mes jambes pour freiner ma descente. Arrivé enfin sur la terre ferme, mes mains sont dans un piteux état, malgré leur protection, brûlées par le frottement sur le bois. Je remarque que le bélier est détruit, et que la retraite a déjà commencé à s'amorcer. Soutenu par quelques soldats tenant des boucliers, je parviens à m'éloigner suffisamment de la place forte pour pouvoir enfin reprendre véritablement mon souffle. Je constate alors avec tristesse que le siège devra se poursuivre.
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Bataille [Version "mobile"]
Художественная прозаVoici l'histoire d'un homme, ou plutôt les fragments de celles d'une multitude. Toutes sont les catalyseurs de personnalités qui découlent des naissances de ces hommes, comme de leurs vies, de leurs rêves comme de leurs regrets. Tous d'origines diff...