Douce

Nouvelle école, nouveau départ

Lundi, enfin. C'est un tout nouveau départ pour Daphnée. Le secondaire est fini, enfin peut-elle espérer laisser tous ses mauvais souvenirs du passé dans ce vieil établissement du New Jersey. Toutes les insultes, les moqueries et toutes les fois où elle s'est mise dans des situations embarrassantes; tout ça n'existe plus maintenant qu'elle s'en va dans un nouvel État, bientôt en route vers une nouvelle école et un avenir meilleur. L'université représente sa chance de tout recommencer à zéro, de ne plus être la pauvre fille naïve et faible qu'elle est dans le New Jersey.

« À quoi penses-tu ? », questionne sa mère.

Daphnée abandonne les vues exceptionnelles qui s'offrent à elle du haut de son balcon et se tourne vers sa mère, le regard perdu dans ses pensées.

« Je veux juste que tout se passe comme je l'ai imaginé, répond-elle évasivement.

— Et comment l'as-tu imaginé, ma puce ? renchérit sa mère.

— Je veux que ce soit tout le contraire du secondaire. Je veux m'amuser, réussir mes études et, s'il te plaît ne fais pas de remarque moqueuse, peut-être même rencontrer un garçon.

— Un beau garçon, j'espère ! »

Les deux filles sourient avec complicité. Cette conversation s'est déjà passée des milliers de fois auparavant, mais elles ne cessent de revenir sur le sujet. Surtout depuis qu'elles savent toutes les deux qu'elles ne vivront plus ensemble à partir de ce soir. Autant profiter du temps qu'il leur reste pour parler de garçons.

« Oui, un beau garçon », acquiesce Daphnée en riant.

Ce beau moment entre mère et fille ne peut néanmoins durer éternellement. Il est gâché lorsque le père de Daphnée entre dans la chambre, pour apporter les mauvaises nouvelles. L'heure décisive est arrivée, il faut maintenant partir. Il ne faut tout de même pas qu'elle soit en retard pour sa rencontre en fin d'après-midi. Cela lui donnerait une mauvaise première impression de la part de la propriétaire de son nouvel appartement et de son agent immobilier. Alors tristement, elle regarde sa chambre pour une dernière fois et se prépare à partir. Sa veste mise et ses souliers dans les pieds, elle dit au revoir à ses parents et à sa maison d'enfance.

« Prends soin de toi, ma chérie, la salue sa mère. Et n'oublie surtout pas de nous appeler quand tu arriveras.

— Je n'oublierai pas », promet-elle.

Elle lui donne un gros câlin et se tourne vers son père.

« Fais attention, lui conseille son père. Surtout avec les garçons ! »

Daphnée rit un peu et rassure ses parents. Elle prend ses deux valises en main et les installe dans le coffre de sa voiture, une Honda bleu marin du début des années 2000. Tout est fin prêt pour le départ. Elle s'assoit quelque peu à contrecœur au volant de sa vieille Honda et avec un dernier regard nostalgique du côté de ses parents, toujours debout à l'entrée, démarre. Elle appréhende ce moment depuis un bout de temps déjà, mais jamais elle n'avait pensé que ce serait aussi difficile de quitter sa ville natale, ainsi que sa maison familiale. Bien que ce soit son propre choix, ça fait mal de tout abandonner pour tout recommencer à zéro. Tout ce qu'elle a toujours connu, elle le laisse derrière elle alors qu'elle roule en direction de Boston, cette grande ville qui peut offrir tant de nouveaux horizons.

Elle roule depuis quelques heures déjà lorsque les doutes commencent à l'assaillir, tout juste alors qu'elle arrive aux frontières qui séparent le New Jersey et le Massachusetts. Est-ce une bonne décision de faire ses études loin de ses parents et de ses quelques amis ? Est-ce qu'elle le regrettera ? Malgré elle, toutes les pensées négatives qu'elle refoule depuis les dernières semaines refont surface dans son esprit inquiet et elle se met à penser à tout ce qui pourrait mal virer. Peut-être ne sera-t-elle pas capable de voler de ses propres ailes, que c'était encore trop tôt pour essayer.

Elle pourrait après tout manquer d'argent pour payer son appartement et ses études, ou pire encore, ne pas trouver d'emploi du tout.

Elle pourrait redevenir celle qu'elle essaie de refouler en elle depuis la fin du secondaire ; cette jeune fille fragile du New Jersey, celle qui n'a pas de nombreux amis et qui ne parle pas beaucoup en public. Si cela vient malencontreusement à arriver, Simon n'est plus avec elle pour la protéger et lui redonner le sourire quand elle ne va pas bien.

Elle pourrait mal gérer la nouvelle vie dans laquelle elle s'embarque et être malheureuse, toute seule dans une grande ville comme Boston, où chaque coin de rue lui est inconnu.

Une infinité d'éléments pourraient tourner à la catastrophe, mais elle ne peut pas se permettre d'y penser maintenant. Daphnée doit sans aucun doute continuer, ou du moins jusqu'à atteindre sa destination finale. La tentation de revenir sur ses pas est élevée, néanmoins elle ne peut s'empêcher de penser qu'elle manquerait une chance extraordinaire si jamais elle cédait à cette alléchante initiative. Après tout, l'université de Boston lui offre cette chance tant espérée d'obtenir un nouveau départ. Et même si cela peut avoir quelques désavantages et lui causer beaucoup d'anxiété, elle ne peut absolument pas nier que c'est ce qu'elle espère depuis le tout début du secondaire. Elle en rêve depuis si longtemps, donc pourquoi abandonner tout espoir alors qu'enfin cette opportunité ne semble plus si irréaliste ?

C'est alors qu'elle se rappelle d'une phrase que sa mère lui répétait sans cesse lorsqu'elle était plus jeune et qu'elle voulait abandonner avant même d'avoir essayé.

« Ne t'empêche pas de vivre quelque chose d'extraordinaire parce que tu as peur, lui rappelle la voix de sa mère, du fin fond de ses pensées.

— Tout le monde a peur du nouveau, seulement certains décident de l'affronter la tête haute », finit-elle à voix basse.