LEE.
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Les éclats flamboyaient sur la carrosserie pourtant terne de notre voiture, rouge feu, bleu ciel, violet améthyste, orange crépuscule, vert jade, et surtout, surtout partout de la vie. La musique pimpante qui émanait d'un peu partout à en faire trembler les murs, du hip-hop surtout, donnait à ces lieux une ambiance particulière, un truc édulcorant qui te donnait envie de bouger tes jambes comme tes bras dans tous les sens au risque de paraître ridicule. Les gens étaient pour la plupart aux balcons, à fumer et, justement, danser dessus. Ça respirait tout simplement la vie, si loin de l'atmosphère grise et fumeuse de Bristol.
C'est en m'absorbant pour la première fois de Brixton que j'en suis tombée amoureuse.
« Leeto ! » m'a rappelé à l'ordre Papa. « Viens m'aider à vider la voiture. »
A regret, j'ai abandonné ma découverte minutieuse des locaux où nous allions désormais vivre pour venir à son secours. Il était en train de galérer avec ses affaires rassemblées dans un cabas absolument monstrueux qui, pour cause, pesait bien trop lourd pour ses bras s'affaiblissant avec l'âge. C'était un véritable taureau à une autre époque, capable de me soulever sans le moindre effort d'une seule main.
On a traîné ensemble l'énorme paquet jusqu'à la porte entrouverte où nous attendait Grand Ma', bras croisés, visiblement peu ravie de voir son incapable de rejeton revenir la queue entre les jambes au berceau. Enfin... Elle n'avait décidément pas changé, la tête serrée dans un turban aux motifs bohèmes, la bouche pincée comme toujours mais ses yeux, soulignés d'un trait de khôl, ont souri affectueusement lorsqu'elle m'a serrée dans ses bras pour la première fois depuis près de cinq années. Elle sentait bon les herbes coupées et la cigarette.
« Ça fait plaisir de te voir, kiddo. »
« 'Plaisir aussi, Grand Ma'. »
Son regard s'est empli de multiples émotions contrastées lorsqu'elle m'a relâchée et s'est tournée vers Papa – de l'amour, beaucoup d'amour mais aussi une bonne dose de colère. Prétendre qu'il allait passer un mauvais quart d'heure dès que j'aurais le dos tourné était un euphémisme. Il restait, malgré les années qui passaient et les rides qui creusaient leurs deux visages, son insupportable petit garçon.
Sans le lâcher une seconde des yeux, Grand Ma' a fermé la porte derrière nous tout en me disant :
« Tu peux monter à l'étage, je t'ai installé un lit dans la chambre pour amis – avec Pinocchio. »
Pinocchio ?
J'ai froncé les sourcils, sans trop oser y croire de peur d'en être déçue :
« Ça veut dire que Mama est là ? »
« Oui. Tu la verras demain au petit-déjeuner alors, maintenant, vas dormir. » m'a-t-elle assénée d'un ton sans réplique.
Je n'ai pas cherché à répliquer, suis allée chercher mes propres affaires restées dans la voiture, puis ai grimpé quatre à quatre l'escalier grinçant. Comme dans mes souvenirs, le blanc cassé des murs était recouvert de multiples clichés, peintures, affiches, drapeaux, une explosion de couleurs extravagantes qui rendait cette maison vivante et chaleureuse.
C'est lorsque j'ai atteint sur la pointe des pieds la chambre réservée à Pinocchio que Grand Ma' a commencé à engueuler Papa, je l'entendais assez distinctement gronder :
« ... en train de me dire que tu n'as plus de maison, plus de travail et plus d'argent ? Cesse de me faire ces yeux, Jaheim, tu as agis comme un incapable et tu le sais. Il faut absolument que tu te reprennes en main, que tu changes ta façon de vivre. Pour ta fille et surtout pour toi-même. »
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Trash Color
RomanceBrixton, explosion de couleurs au coeur de la grisaille monotone de Londres. Brixton, vibrante de hip-hop. Brixton, quartier afro-caribéen, mix édulcorant de toutes les cultures, foyer de l'anti-conformisme, ennemie de la vieille Angleterre. Le...