Chapitre 45 (en cours de correction)

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La porte de l'ascenseur s'ouvre et nous nous engouffrons tous les quatre à l'intérieur. Je suis particulièrement nerveuse aujourd'hui parce qu'on va revoir l'autre dingue, mais aussi à cause de notre projet d'évasion. Je me suis longtemps demandée si j'en parlais à Ach. Il faut dire que ces derniers jours, il ne cesse de me balancer des répliques cinglantes, quand il ne se mure pas dans le silence. Le coup en traitre qu'il a tenté m'est resté en travers de la gorge, alors nos relations sont un peu tendues. Il n'empêche qu'il a toujours été là pour moi et pour cela, je me devais de le mettre au courant.

Et nous voilà dans ce fichu ascenseur, prêts à affronter Hella à nouveau et à leur fausser compagnie dès que l'occasion se présentera. Le rendez-vous a été fixé dans un entrepôt abandonné sur les quais. A cette heure-ci, à part les dockers, personne ne traine dans le coin. Samuel les a achetés pour qu'ils aillent faire une très longue pause, à l'autre bout du port.

Je me dandine malgré moi sur mon siège. Ma nervosité est palpable. Samuel commence à me regarder bizarrement, comme s'il se doutait de quelque chose. Je détourne les yeux pour éviter qu'il n'y lise mes intentions. Luc pose alors sa main sur ma cuisse afin de m'apaiser, en même temps que Ach. Et les voilà tous les deux se fusillant du regard, comme cherchant à revendiquer leur propriété. Je les repousse, sans ménagement.

- C'est bon, ça va aller. J'ai quand même le droit d'être nerveuse à l'idée de revoir cette pourriture ! maugrée-je.

Le sourire de Samuel s'étire. Il semble rassurer.

- Ne t'inquiète pas, Ivy. Elle se tiendra tranquille. Et quand tout sera terminé, tu seras libre de lui arracher les entrailles si ça te chante.

Luc est choqué, en témoigne la grimace disgracieuse qui barre son visage. Ach, quant à lui, est au bord de la crise de fou rire.

- Hé bien ! Chasseur, tu es choqué ? Pourtant, vous pratiquez cela couramment sur les gens de notre espèce !

Luc esquisse un mouvement dans sa direction, mais Samuel l'arrête.

- Tenez-vous tranquilles, ou je vous débarque, n'en déplaise à ma sœur.

Luc grimace mais se ravise et s'installe au fond de son siège, en bougonnant. Ach se contente de tourner la tête vers l'extérieur. Samuel me jette un regard compatissant.

- Deux mâles pour la même femelle, ce n'est jamais bon.

- Je ne suis pas une femelle ! Tu as l'impression que j'ai des mamelles qui pendouillent là !

Luc et Ach pouffent de rire, chacun de leur côté.

- Certes, mais il n'empêche qu'il faudrait soit en choisir un soit les dompter.

Cette fois, ils ne rient plus. Samuel s'enfonce dans son siège, bras croisés sur sa poitrine et sourire figé sur les lèvres. Il nous observe, nous détaille. Je me sens à nouveau mal à l'aise et tente de masquer mon trouble.

La voiture se gare devant la grande bâtisse de ferrailles rouillées. Nous sortons, sur nos gardes. Les alentours sont étrangement calmes. Luc balaie du regard les lieux, histoire de repérer un chemin pour fuir. La nuit est fraiche. Une légère brise fait danser mes mèches rebelles et drainent avec elles des effluves masculins. Sûrement les reliquats des dockers qui viennent de partir. Quand nous entrons, tout est plongé dans la pénombre. Le rendez-vous doit avoir lieu dans un quart d'heure. Samuel a tenu à ce qu'on soit en avance pour contrôler le bâtiment.

Avant de se séparer pour fouiller l'immense hangar, Luc se penche vers moi.

- Il y a une porte au nord, murmure-t-il à mon oreille. Elle doit donner sur la ruelle. Quand je te ferai signe, on y fonce.

J'acquiesce d'un léger mouvement de tête.

- Ne sois pas si nerveuse. Samuel est déjà sur ses gardes. Tout va bien se passer, tu verras.

Luc pose un délicat baiser sur mon front et me couve d'un regard plein de promesses. Je me sens un peu mieux. Je dois avoir confiance, me montrer forte. Pour lui.

Il se dirige vers le fond du bâtiment. Je le suis un instant des yeux. Un bruit sourd attire alors mon attention. Luc se fige. Je cherche d'où est venu ce son étouffé. C'est là que je le vois mettre un genou à terre. Un mauvais pressentiment assaille aussitôt mes entrailles. Puis son corps heurte durement le sol. Avant même que mon cerveau ne comprenne, mon cœur s'est figé et mes jambes se sont mises à bouger toutes seules. J'arrive enfin à sa hauteur. Il gît sur le côté. Sa respiration est difficile. Je le retourne sur le dos délicatement. Et je la vois. Cette tâche rouge qui s'élargit seconde après seconde. Je n'arrive plus à respirer, comprenant enfin que mon pire cauchemar vient de se produire.

- Luc... Non...

Ma voix étranglée par les sanglots murmure son nom avec douleur. Je lui caresse le visage. Sa bouche entrouverte émet un gargouillement sinistre. Les larmes déferlent sur mes joues. Mon cœur se brise. Sa main se lève avec peine et vient effleurer ma mâchoire.

- Ne pleure pas, Ivy.

Sa phrase me fait éclater en sanglots.

- Ivy, je t'aime. Ne l'oublie jamais. Sauve-toi. Pars avec lui.

Je secoue la tête, paniquée à l'idée de l'abandonner ici. Je lis dans son regard que la vie s'enfuit peu à peu. Sa poitrine se lève de plus en plus difficilement. Ses yeux me supplient. A regret, j'acquiesce, posant un délicat baiser sur ses lèvres rougies par le sang qui en écoule.

Soudain, une main puissante me tire en arrière. Ach. Son regard violet est angoissé.

- Ivy, il faut partir. C'est un piège.

Je me rends compte alors de ce qui se passe. Autour de moi, l'affrontement gronde. Des lycaons et des chasseurs se battent. Je comprends alors que ce que j'avais senti tout à l'heure était leur odeur fétide. Les chasseurs avaient tué Luc. Ils avaient tué l'un des leurs parce qu'il était tombé amoureux d'une lycaon. Parce qu'il refusait de me faire du mal. La douleur fait place à la rage. Je repousse Ach. Ils doivent payer pour expier leur pêché.

Mon corps se tord, se cabre. La bête réclame son dû et pour une fois, je suis d'accord avec elle. Ma peau se couvre de poils, mes griffes déchirent ma chair. La douleur du corps n'est rien. Mon cœur meurtri hurle sa haine. Mon regard se voile. Je ne suis plus que colère, violence et rancœur. Je vais être l'horreur, je vais être leur damnation. Les chairs se déchirent, les cris s'envolent. Et du sang, beaucoup de sang. Le sol en est couvert, mais ce n'est pas assez. Les os se broient, les membres se détachent. Je n'aurai de repos que quand toute parcelle de vie aura quitté leur corps ignoble. Puis soudain, le silence. Lourd, froid, implacable. L'air est saturé du parfum de la mort. Et je contemple mon œuvre. Plus de vie. Juste de putrides carcasses qui vont rester là à se décomposer, tandis que mon cœur continuera à souffrir. J'ai toujours aussi mal, mais mon démon est rassasié.

Je ne pleure plus. Je ne veux plus pleurer. Je vais faire payer à l'humanité son égoïsme, son intolérance. L'apocalypse viendra et nous abattrons sur elle notre vengeance. Notre vengeance amère, sans concession. Nous les exterminerons jusqu'au dernier. Et la Terre nous appartiendra.

Louve solitaire (en cours de correction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant