Chapitre XI: Le prêcheur inquisiteur (Partie 2)

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   À ces mots, mes poings se serrent mais je tâche de ne laisser rien paraître, et, bien qu'interrompu dans ma marche, je repars tranquillement en apparence, bouillonnant en mon for intérieur. Enfin à l'air libre, je fais quelque pas pour m'écarter de tout cet ostentatoire puis m'arrête et prends une grande respiration pour m'apaiser et me calmer. Récupérant mon crucifix dissimulé sous mes vêtements, je l'embrasse adressant une prière silencieuse à mon Seigneur avant de le ranger et de partir en quête de la tente qui m'a été mise à disposition. Je me perds rapidement parmi les toiles toutes identiques bien que chaotiquement disposées, mais je croise finalement une âme charitable à même de m'indiquer ma direction, ainsi que le moyen de rejoindre l'hôpital de campagne à partir de ce lieu. Enfin libéré du fardeau de la perdition, je me laisse aller à observer ces pauvres hères condamné par la volonté de quelque puissant. Ces hommes, en guenilles sous leurs quelques pièces d'uniformes, qui sont sacrifiés au nom de quelque projet profane. Je m'interroge, ne comprenant la volonté divine. Mais serait-elle divine si moi, pauvre humain, j'étais capable de la comprendre ? Toutefois, je ne peux éprouver que pitié pour ces hommes pour qui la vie humble est si difficile, pour ces hommes souffrant de la faim, de la maladie, et de mille autres maux du corps et de l'esprit. Ce sacrifice me paraît si vain. Je suis alors tiré de mes réflexions par un homme qui se précipite à genoux en-travers de ma route, me suppliant de le bénir, de le protéger de la mort, mais également de sauver son âme des péchés qu'il a commis. Un sourire que je veux bienveillant s'étire sur mon visage tandis que j'appose ma main sur le sommet de sa tête inclinée. Quand il se confond en remerciements, un baume recouvre mon cœur. Je repars alors, jusqu'à atteindre mon palais de toile, bien plus riche que ce à quoi je suis habitué. Toutefois, je ne compte pas m'en plaindre. Bien que fervent réfractaire à l'ostentatoire, j'aime le luxe, trait que je dois probablement à ma naissance, et ce d'autant plus que j'en suis privé depuis si longtemps. Je suis sur le point de prendre possession des lieux quand un coursier arrive au pas de course, portant une missive qui me semble être destinée. Je m'arrête alors et l'attends tandis qu'il ralentit sa course à ma vue. Reprenant son souffle il me présente le papier encore scellé tandis que je lui tends la gourde qui trône avec mes quelques effets au seuil de la tente. Quand sa soif semble assouvie, je récupère le contenant de cuir usé, le congédie après remerciements, puis entre finalement dans la tente pour découvrir un mobilier riche quoi que relativement restreint. Remarquant notamment ce qui ressemble à un pichet de vin, je pose la lettre sur une petite table avant de me servir un verre, de m'assoir sur la chaise à proximité de la table et de finalement déguster ce met que je n'avais goûté depuis un certain temps. Le liquide sucré d'une belle robe rouge réjouit mes papilles avant de finalement trouver son chemin, réchauffant mon corps quelque peu fatigué.

   Prenant enfin une pause après cet éprouvant périple qui m'a conduit dans les environs, je savoure, repoussant au maximum l'ouverture de cette lettre émanant très probablement du clergé. Ainsi, je bois le doux breuvage par petite gorgées, toujours entrecoupées d'un certain temps de repos. J'en viens alors à repenser aux mots durs de mon interlocuteur, ce qui me ramène à la pensée de ce brasier, et du jeune homme en son sein. Non, du démon en son sein. Je n'ai pas de doute, il portait la marque de Satan, en sus de se trouver à proximité du malade. Il n'y a pas de doute à avoir. Mais si je m'étais trompé ? Et s'il n'était qu'un enfant innocent ? Non, le Seigneur ne me l'aurait pas permis. Il aurait retenu mon geste, comme il retint celui d'Abraham. Ou bien il y avait une raison derrière tout cela. Une mise à l'épreuve ? Après tout, notre destin est si obscur. Peut-être devais-je faire souffrir un innocent pour plus tard accomplir ce qu'Il a prévu pour moi ? Dans tous les cas, je ne suis pas fautif, je ne suis que Sa main, que Son humble serviteur. Mais comment osé-je douter, alors ? Pardonnez-moi, je vous en prie pour mon orgueil. Mais ne suis-je égoïste à recentrer le problème sur moi, sur ma destinée, sur le sort qui m'est réservé ? La marche du monde n'en est-elle pas détachée ? Je porte mon verre à mes lèvres. Je ne sais plus que penser. En y réfléchissant, j'ai l'impression de tant pécher, de tant me fourvoyer. Suis-je seulement sur la bonne voie ? L'Église est-elle si représentative de notre Seigneur ? Tous ces édifices, tous ces règlements, tous ces sacrifices et tous ces sacrements. N'est-ce pas bien futile ? Mais n'est-ce pas nécessaire à la bonne marche du monde ? Comment la société, si gangrenée par la faiblesse humaine, pourrait-elle toujours fonctionner sans tout cela ? Quel châtiment serait suffisamment effrayant pour dissuader les hommes de nuire ? Non, malgré les défauts de cette institution humaine, je dois persévérer et continuer d'y voir l'œuvre du sacré. Je ne dois pas douter. Je ne peux pas douter. Malgré ton pesant silence, Seigneur, j'ai retrouvé ma voie. Malgré ce terrible silence, Seigneur, j'ai su garder la foi.

   Je me souviens alors de ma mission, et reprenant finalement mes esprits ainsi que ma contenance, je sors chercher mon sac de voyage et en sors un vieux parchemin, froissé par ce long périple qui m'a conduit jusqu'en ces lieux. Je le déroule, dévoilant le plan d'une cathédrale actuellement en cours de construction. Ou du moins qui était jusqu'à quelques mois auparavant en cours de construction. Étranges rumeurs qui nous sont parvenues. Je reste cependant dubitatif en comparaison de certains de mes supérieurs, convaincu de la marque de l'hérésie. Effectivement, les faits paraissent étranges, mais sont-ce vraiment des faits ? Ces quelques rumeurs ne sont-elles pas un peu édulcorées par quelque ragot de vieux paysan ? Je dois admettre que la crédulité du bas peuple m'étonnera toujours. Un chat noir passe et la malédiction est sur eux. Sûrement les quelques bribes survivantes de ces quelques superstitions païennes de l'ancien temps. J'ai bien du mal à comprendre, pourquoi instiller telles inepties dans leurs esprits, Seigneur ? Peut-être est-ce nécessaire pour les rendre suffisamment dociles ? Il est vrai que sans leur imbécilité, l'Église aurait bien du mal à perdurer. Fouillant de nouveau dans mon bagage, j'en tire une missive en piètre état, détaillant les quelques versions qui nous ont été rapportées sur cette affaire. La relisant, je ne trouve toujours aucune piste probable, aucun élément concret à me mettre sous la dent. C'est ce moment précis que choisit mon estomac pour se rappeler à moi. Je me lève pour aller chercher de quoi me nourrir parmi mes vivres avant de remarquer une miche de pain de taille conséquente ainsi qu'un morceau de fromage, le tout posé dans une assiette sur une petite table proche de l'entrée. Satisfait, je m'empresse d'aller récupérer le pain, laissant le fromage à qui saura l'apprécier. Je retourne à ma table, et casse la croûte trop cuite pour accéder à la mie que j'attendais plus tendre. Pendant que je mâche non sans effort la nourriture, je récupère ce bilan que je relis pour la énième fois. Un prêtre disparu, un homme poignardé à de multiples reprises, des bâtisseurs terrifiés, des tombes profanées, ... Mais je ne sais pourquoi, je suis persuadé que la cause de tout cela est humaine. Un joueur invétéré avec qui l'on règle ses comptes, c'est courant. Un prêtre se faisant des ennemis, cela arrive bien plus souvent que l'on ne le croit, nous ne sommes tous des saints. Certaines affaires étouffées dont j'ai eu vent ne me démentiront pas.

Bataille [Version "mobile"]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant