Partie I
Un soupir.
J'avance, je regarde autour de moi, regarde le prince perdu dans ses pensées. Je regarde les arbres, des géants de cristal qui observent, attendent, tristement silencieux. Une neige poudreuse tombe d'un ciel noir. Des délicats flocons se posent sur mes joues, mes cheveux ou ce manteau dérobé. Ils tournent, tournent, étrange danse effectuée. Je lève le nez, lève le menton, retiens mon souffle et ouvre grand mes yeux. Le vent les malmène, les emporte dans un hurlement furieux. Je tends la main, lui en vole quelques-uns et baisse la tête, les étudie scrupuleusement. Une, deux, trois secondes s'écoulent. Et je comprends. Ce n'est pas de la neige, je réalise enfin. Ce n'est pas de la neige, je conclus rapidement. Du cristal, littéralement, qui ne fond pas, qui ne fond jamais. Je serre ces flocons, les serre, le serre puis les laisse. Ils tournent. Disparaissent dans le blanc de leurs semblables.
Et moi je continue mon chemin.
La fatigue me gagne rapidement.
Mes jambes refusent de coopérer. Mon poids est devenu trop lourd à porter, et je peine à avancer. Un papillonnement ou deux, mes paupières se ferment lentement. Et je veux dormir, dormir tout simplement. Un bâillement. Un soupir. Un coup d'œil agacé lancé au dos du prince. Lui, il continue encore, il continue toujours. Impassible, infatigable, inatteignable. Une boule de colère se forme dans mon ventre, et je suis exaspérée. J'ai envie de m'arrêter. Je dois m'arrêter. Je ne peux plus continuer.
Je m'arrête.
Me racle la gorge, réfléchis, ramasse mes mots et mon courage envolé et propose :
― Nous devrions prendre une pause.
Ma voix est prudente, mon corps tendu. J'attends une réponse avec le cœur au bord des lèvres et un désespoir qui m'étouffe. L'impatience s'ajoute et gagne, tandis qu'il continue sans s'arrêter.
― Non.
Un mot, simple et unique. Je soupire, serre les poings et déteste, déteste profondément cette impression d'agir comme une enfant, qui pleure et se plaint et ne semble pas comprendre. Je serre les dents. Il continue. Mais je n'avance toujours pas.
Dix mètres nous séparent désormais.
― Tu as l'intention de rester plantée là ?, il lance enfin, sans toutefois se retourner.
― Oui.
― Vraiment ?
Le ton moqueur, un air de défi colorie sa voix. Il semble amusé.
― Vraiment.
― D'accord dans ce cas.
Il continue sa démarche tranquille. Se balance au grès du vent, il essaye de le masquer, mais je remarque son léger boitement. Remarque tout d'un coup son dos arqué, légèrement courbé, le poids de tout un monde reposant sur lui. Et je me rends compte de la fatigue qu'il doit ressentir, la fatigue qu'il doit affronter.
Une soudaine honte fait alors surface. Je déglutis, serre les dents et baisse les yeux mais ne peux toujours pas avancer. Je ne comprends pas, ne comprends pas son entêtement à continuer, ne sais même pas si nous avons un réel objectif ou si nous ne faisons qu'errer. Et cette incompréhension, intimement mêlée à une peur sourde qui me martèle le cœur depuis des heures, me tue, me rend folle.
Je ne peux pas avancer les yeux bandés.
Alors je reste là, droite et en prétendant une fierté que je n'ai pas, la poitrine gonflée d'une détermination ridicule et je le regarde. Je ne compte pas céder, ne compte pas le suivre.
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MAUDITE
FantasiaLa marque. Synonyme de désespoir, témoin d'une malédiction. Contre toute attente. Elle est marquée. Personne ne savait, leur dos, à tous, était tourné. Maudite. Elle a disparu. Au milieu de la nuit, au commencement de minuit. Étonnée. Dans un océan...