NORAH

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Factory – Band of Horses



J'ai encore faim.


J'ai encore sommeil aussi, je suis encore vaguement intéressée par ma future carrière de sainte, et pourtant. Je grogne. Le vieil Oreo que je suis en train de grignoter dans le taxi, au biscuit qui a perdu son croustillant et au centre blanc quasi gélatineux – comme un sandwich glacé à la température ambiante –, est fantastique, mais il ne parvient pas à apaiser cette fringale. Je ne sais pas si ce grognement provient de mon estomac ou de la zone arctique voisine qui, plus tôt, s'est étrangement mise à fondre à cause de l'effet de serre provoqué par Harry.


— On y va ou pas ? me demande le chauffeur de taxi.


Cinq fois, nous avons vu le feu passer au rouge à l'angle de Houston et de West Broadway. Je n'arrive pas à me décider. Le chauffeur a supporté mes hésitations dans l'espoir que je ne mettrais pas à exécution ma menace d'opter pour le New Jersey et de déposer une plainte officielle s'il me servait une fois de plus son laïus antibanlieue.


— Quelle direction, mademoiselle ?


JE N'EN SAIS FOUTREMENT RIEN !


Je ne parviens à formuler que deux pensées rationnelles. 1) J'ai envie de manger d'autres Oreo rassis en provenance de cette épicerie coréenne. 2) Je refuse qu'un abruti soit la cause de mon désamour pour Fluffy. Il faut que j'efface de ma mémoire le dernier souvenir que j'ai du groupe, celui de ma chanson préférée, leur hymne aux homos, Lesbian Strip-Tease. C'est ce qu'ils jouaient quand le génie que je suis a entrainé Harry par la main pour un strip-tease à notre façon. Il faut que je retourne dans cette foutue boite.


— On repart à Ludlow, je dis au chauffeur.


Est-ce que je suis allée trop loin avec Harry ? Pas assez ? Ou simplement est-ce que je ne suis pas du tout attirante ? Je n'aurais jamais dû virer tous ces spams vantant les mérites des compléments vitaminés pour avoir des eins plus gros, plus fermes. Je suis mieux lotie que Tris et Caroline, mais les miens partent dans la mauvaise direction – vers le bas et l'extérieur au lieu de pointer vers le haut et l'intérieur. Il est sans doute temps pour moi d'ouvrir les yeux et d'accepter que j'ai besoin de chirurgie esthétique.


Le chauffeur soupire, secoue la tête, puis, au mépris complet du code de la route, accomplit un demi-tour au beau milieu de la rue à quatre voies où nous poireautions. Il monte le volume de la radio, peut-être dans l'espoir de ne pas m'entendre si je change encore d'avis. Comment un remplaçant de l'équipe de foot du Kazakhstan se retrouve-t-il à conduire un taxi de nuit dans Manhattan en écoutant une chaine musicale – au lieu de l'habituelle radio d'informations (100% info, 100% déprime), qui m'a toujours semblé la pierre de touche de la profession ? Aucune idée. On a tous notre histoire.


Cette bonne vielle Britney chante dans le poste ; voilà une allumeuse qui s'assume. Harry doit penser que j'en suis une, qui l'ai entrainé dans les loges au milieu d'un concert de Fluffy. Il n'a pas cherché à me retenir quand j'ai quitté la pièce ou quand je l'ai abandonné pour monter dans ce taxi. Il ne m'a même pas adressé un signe de la main.


La voiture s'engage dans Bowery, passe à toute allure devant la boite où, au début de la soirée, Harry m'a demandé si j'accepterais d'être sa copine pendant cinq minutes. Plus tard, j'ai commencé à l'apprécier, et ensuite il m'a regardée droit dans les yeux au moment où il prononçait en public les mots magiques – pute-merde-bite –, qui ne m'ont pas laissé d'autre choix que de lui sortir le grand jeu. Je me rappelle avoir vu Lou le Fou au concert de Fluffy, bien après que nos cinq minutes, à Harry et moi, avaient expiré. Lou n'aurait pas quitté sa boite si quelqu'un d'autre n'avait pas été là pour assurer la fermeture...


Une nuit à New York | hsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant