ULTRA, Tome 2

Chapitre 1 IMPUISSANCE

CHAPITRE PREMIER

IMPUISSANCE

Le soleil chauffait déjà fort ce matin-là, et aucun nuage n'entravait sa lumière. Les moutons se repaissaient tranquillement dans la prairie verdoyante et aucun chien n'aboyait, c'était une belle journée de printemps qui commençait et Dimitri, assis sur le rebord de la fenêtre de sa chambre, la tête appuyée sur ses poings, se dit qu'il ferait en sorte d'en profiter. Ce jeune fils de berger des Monts d'Argent, du haut de ses quatorze ans, avait beau aimer ce cadre de vie, l'avenir que lui réservait son père ne le faisait pas rêver. Le jeune homme ne pensait qu'à s'évader, sa soif de liberté était inépuisable. Il scrutait couramment, comme ce matin, la nature, il l'observait, en guettant les moindres mouvements, suivait le vol des moineaux, merles ou de quelques hirondelles qui traversaient son champ de vision. Il rêvait de s'envoler avec eux et il le faisait.

En fait, il se l'imaginait mais depuis la mort de sa mère, l'hiver précédent, et le choc que cela lui avait fait, il s'envolait vraiment ou tout du moins, c'était l'impression qu'il avait. Il le voyait bien à chaque fois qu'il renouvelait l'expérience, son corps restait inerte et son esprit s'en détachait, s'en éloignait. Il se voyait comme un cerf-volant porté par le vent de ses envies et plus il s'exerçait, plus le fil était long et très vite, l'adolescent pouvait survoler toute la plaine, et même le village dans la vallée, où il avait tous ses amis, où il avait son amie, Sara, la seule dont il s'était secrètement épris, la seule à qui il s'était confié, à qui il avait parlé de la mort de sa mère et de l'apparition de son pouvoir.

C'était une belle matinée de printemps ce jour-là, le soleil brillait, le troupeau était calme, les chiens muets, Dimitri s'envola, son esprit quitta son corps, s'éloigna de la maison, et prit de la hauteur, s'éloigna de la prairie. Porté par ses désirs, il atteignit très vite le village.

Loin de son corps, il sentir tout de même son cœur se tordre de douleur, ses intestins se nouer. Le village était calme, mais un calme morbide, funeste. De nombreux corps gisaient sur le sol, tous les hommes et garçons du village étaient là, étendus, massacrés, tous sans exception. Dimitri connaissait tous ces hommes et ces garçons, certains étaient des amis depuis l'enfance, certains étaient des compagnons de jeu, il avait grandi avec tous ces gens.

La peur le prit un instant, mais très vite, la rage la remplaça. Des cris de femmes au loin l'y aidèrent. Le visage de Sara lui vint à l'esprit, il devait faire quelque chose.

Il vola dans leur direction et parvint vite à les rattraper. Il vit enfin le responsable du massacre. Une horde de brigands des montagnes, ces pillards nomades, bien connus dans la région, et habitués à sévir bien plus au nord près de la côte où ils marchandent leur butin avec les pirates qui viennent parfois mouiller dans les parages. Ils étaient à vue d'œil, une bonne quarantaine d'hommes dont une dizaine de cavaliers et tiraient derrière eux la vingtaine de femmes et de jeunes filles du village, ainsi que les plus jeunes enfants, tous les mains solidement nouées à la cordée. Certaines femmes avaient les vêtements déchirés, marchant la poitrine nue, les yeux pleins de larmes et parfois le visage tuméfié. La qualité de la marchandise avait été vérifiée. Dimitri s'approcha encore un peu et il reconnut enfin Sara. La jeune fille brune avait le regard livide, le visage en partie masqué par ses cheveux longs décoiffés, elle fixait les pieds de celle qui la précédait, sa mère marchait à ses cotés. Sara était pieds nus, et son pyjama n'avait pas été abîmé. Les brigands étaient donc venus à l'aube faire leur marché.

Face au nombre de la horde, les hommes du village ne s'étaient probablement pas rebellés et avaient été froidement assassinés comme ils n'avaient probablement aucune valeur marchande auprès des pirates et autres esclavagistes des continents extérieurs, contrairement aux femmes et aux enfants qui pouvaient satisfaire tous les besoins.