JOLIE JOUE

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Le jour venait de se lever à travers les épais barreaux du petit cachot gris. Églantine redressa douloureusement son coup mordu de bleus. Le tas de tissu énorme et coloré qui lui servait de lit épousait sa silhouette pour l'enfoncer dans une paresse, gourmande de temps comme de volonté. Elle rejeta d'un bras une gerbe colorée qui coulait sur son corps, et s'arracha à l'étreinte méchamment tiède des draps. Elle se releva, chancela, et s'appuya contre un rebord de pierre froide. Face à elle, son visage reflété par une glace sale, tenu avec lassitude dans sa main effilée : depuis quand ses doigts s'étaient-ils transformés en ces longues pointes décharnées ? Elle faillit tomber franchement, la tête étourdie par une quelconque substance qu'elle se rappelait – peut-être – avoir pris, et s'accrocha au bras d'un enfant.

- Qui es-tu, souffla-t-elle. Pourquoi es-tu là, qui t'a permis d'entrer !

Des tâches cramoisies rongeaient les joues baissées de l'enfant. Ses cheveux blonds, coupés droits au-dessus des épaules, réhaussait l'aspect angélique de ses yeux pâles. Timides, ils se relevèrent sous un affolement de cils d'or et d'éclats céruléens.

- Voilà que les anges envahissent ma cellule, s'exclama Eglantine. Oh, suis-je donc déjà morte ? Moi, si belle et si jeune, me voilà fanée avant l'heure !

- Vous n'êtes pas morte, Eglantine.

- Douce folie, l'apparition candide connait mon nom !

L'enfant ne répondit pas, les yeux retombèrent. Eglantine saisit de ses ongles sans couleurs les joues carminées du petit, et lui releva le visage. Ses yeux d'encre scrutaient sans ciller chaque glissement du regard bleu, qui ne savait où se poser – et finit par se fixer sur le tas de draps.

- Vraiment, quel voleur délicieux ! Où peut-être même es-tu un assassin !

- Ni l'un ni l'autre ! s'offusqua l'enfant.

- Il est déjà difficile de déterminer si tu es un garçon où une fille, alors, un ange où un démon ! Voilà une tache bien compliquée. Les diables ne sont-ils pas les plus beaux des anges ?

- Avez-vous perdu la tête – l'enfant se dégagea de l'emprise, reprenant sa confiance – je suis venu vous dire quelque chose de très important !

- Oh, vraiment.

- Vous n'êtes pas dans un état correct, je ne peux pas vous parler maintenant.

Eglantine éclata de rire, et dû s'appuyer de nouveau contre le rebord de pierre.

- Un état correct ! Quelle sombre idée, mon garçon. A ton jeune âge, je ne savais pas même ce que « correct » pouvait signifier. D'ailleurs, mon pauvre cœur troué connait-il aujourd'hui autre chose que les fuites ? 

Eglantine s'étala dans son nuage de tissus aux couleurs vives. Elle rit doucement en sortant de sous les amples plis une petite boite ovale. Elle sortit de l'écrin ocre une longue cigarette blanche, qui libérait une forte odeur de tabac froid. Il n'en restait plus que deux, et elle referma le couvercle dans un claquement sec. Porté à ses lèvres, l'embout de la fine cigarette se tâcha de fard rouge.

- Vous n'allez pas fumer dans cette pièce sans fenêtres ?

- Je suis chez moi, je pose les questions. Comment as-tu atterri ici ?

Avec la flamme orangée d'une bougie collée au sol par sa cire, Eglantine alluma sa cigarette dans une bouffée blanche - l'enfant détourna son visage du nuage opaque.

- Et bien ?

- Pourquoi avez-vous parlé d'un cœur troué ?

- Quelle question, tu es bien le seul habitant de la vallée à ne pas connaître mon gris destin !

JOLIE JOUEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant