Chapitre 1

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« - Aujourd'hui, notre sujet sera l'amour. Selon vous, que nous apporte-il ?

- Rien, murmura une élève »

Dès le premier cours de la semaine, la jeune femme sentait l'énervement coulé dans ses veines. Pourquoi faillait-il que ce maudit sujet soit tombé ? Parce que oui, elle pouvait parler de l'amour, mais aucunement de ses bénéfices. Le stylo à la main, les sourcils froncés, elle réfléchissait au contenu de son devoir et sa feuille de brouillon s'évertuait à rester blanche. Elle lâcha un juron qui tomba dans les oreilles de son professeur ce qui lui valut une légère réprimande. Soupir. Elle n'avait définitivement aucune inspiration jusqu'à qu'une idée gagna son esprit la faisant sourire. Dès lors, elle s'activa à noircir sa feuille les lèvres légèrement retroussées.

"Un regard, une pensée, un battement de cœur un peu trop rapide. Il nous en faut tellement peu pour nous laisser amadouer par une personne du sexe opposé. Nous devenons, sans le vouloir, soumis à une passion qui semble prendre le dessus sur notre conscience. Il ne reste plus que notre cœur pour nous guider. Un simple morceau de chair, battant afin de faire circuler l'oxygène dans le sang serait supposé diriger notre vie ? Où est la logique ?

Ne venez pas dire que vous êtes l'exception à la règle, que l'amour ne vous concerne en rien, les règles n'existent même plus. Elles ne sont qu'un moyen psychologique de se convaincre que tout n'est totalement perdu. Mais ne voyez-vous pas que vous courrez déjà à votre perte au moment même où vous envisagiez de vivre une idylle parfaite avec un prince charmant imaginaire ?

L'amour n'apporte rien, à part malheur et souffrance. Il prend tout ce qu'on possède pour le détruire. L'Homme est naïf et masochiste en partant en quête d'un sentiment qui le fera périr. Le stoïcien Sénèque avait raison, les passions nuisent à la sagesse..."

C'est sur cette lancée qu'elle continua à défendre sa pensée, un peu hors-sujet il faut l'avouer. Mais elle s'en fichait, elle n'allait pas promouvoir un principe qui était contraire au sien. Sa ferveur contre l'amour était telle qu'elle préférait rester solitaire. Se rapprocher de quelqu'un représenterait un risque trop grand. Parce que ce sentiment a détruit sa famille, et qu'elle ne le laissera pas détruire sa vie à nouveau.

Son frère, son jumeau, son point de repère était mort par amour pour sa patrie. Il était mort pour avoir sauvé la vie d'une des soldates de son régiment, par amour également. La définition même de ce sentiment ne comportait pas les termes "affection" et "tendresse". En quoi désignaient-ils un corps froid sans vie ? A quoi l'amour sert-il si le cœur ne bat plus ?

L'amour détruit et cela, elle ne pouvait que l'affirmer.

Aujourd'hui, cela faisait un an que son frère avait disparu, un an qu'il avait rendu son dernier souffle. Elle était totalement démunie face à cet événement. Elle ne savait pas, elle ne savait plus. Colère, tristesse ou oubli ? Tout ce qui se ramenait à lui la faisait souffrir. Elle était en colère car il l'avait abandonné à un moment décisif de sa vie. Elle était triste pour avoir perdu son confident. Elle voulait l'oublier car son amour pour lui, lui faisait trop mal. Alors quoi ? Elle allait rentrer chez elle tranquillement comme si de rien était ?

Ils s'étaient faits une promesse, et c'est sûrement la seule chose réelle qu'il restait de lui alors elle se devait de la respecter. « Quoiqu'il arrive, il faut qu'on se promette de toujours rester uni » Elle avait envie de lui crier qu'il l'avait trahi mais l'entendrait-il ? Sûrement pas.

Elle laissa ses pas la guider vers la base militaire où se situait le cimetière. Le regard baissé, elle marcha d'un pas rapide. Pour atteindre le lieu où son frère reposait, elle était obligée de traverser le camp d'entrainement et les dortoirs des soldats. Chaque fois, elle supportait les regards de pitié ou de malaise de ceux-ci qui avait pris l'habitude de la voir. Elle ne cessait de penser à quel point leur choix de défendre leur pays était stupide et à quel point l'amour qui lui vouait allait les mener à la mort.

Sa pensée, elle aurait voulu la faire partager à son frère, seulement elle n'avait pas eu le temps. Ses paroles flottaient désormais dans l'air face à sa tombe. Et même s'il l'écoutait, il était trop tard. Il était perdu, et elle avait chuté avec lui. L'amour qu'elle avait pour son jumeau était le seul qu'elle pouvait encore supporter et il lui causait souffrance et douleur. Mais ils s'étaient promis qu'ils resteraient toujours là l'un pour l'autre alors elle tenait son engagement coûte que coûte.

« - Tu sais, à chaque fois que je viens ici, je te revois me faire visiter les lieux, joyeux de me faire partager ta « vocation ». Mais le cimetière, lui, tu l'avais oublié..., elle reprit son souffle lentement avant de continuer. Il y a cette question que je me pose sans cesse, quand tu t'es sacrifiée pour la sauver, tu as pensée à moi ? Hein ? Tu as pensé à ta jumelle, à ta sœur qui attendait ton retour ? Tu as pensé au mal que ça m'a fait d'ouvrir à la porte ces soldats qui m'ont annoncé la « mauvaise nouvelle » ? [...] Aujourd'hui ça fait un an Alex, un an que je prie pour qu'encore une fois je puisse entendre le son de ta voix, voir ton sourire et sentir ton odeur. Mais ça n'est jamais arrivé. Elle a dit que tu étais un héros, moi je dis que tu es un lâche. J'avais besoin de toi Alex, j'ai besoin de toi ! Tu n'avais pas le droit de me laisser, avec qui je vais fêter ma deuxième année de fac, avec qui je vais partager mes vacances, avec qui Alex ? AVEC QUI ? Elle tremblait. Je suis pathétique tu sais, je devrais te féliciter pour ton « acte de bravoure » et gentiment passer à autre chose. Mais je ne peux pas, je ne peux définitivement pas et je t'en veux comme jamais. [...] Tu sais, aujourd'hui mon professeur de littérature m'a demandé ce que l'amour apportait. Je lui ai répondu un frère mort. Je devine la tête qu'il aura lorsqu'il lira ma copie. Mais, je me rends compte à quel point l'amour a tout détruit. Tu n'es plus là et je n'ai plus rien... »

A ce moment précis, elle aurait aimé que la voix de son frère surgisse et qu'il la réconforte comme il savait si bien le faire. A la place, elle avait le droit au silence. Elle s'adossa à la croix et ferma les yeux. C'était le seul moyen qu'elle avait trouvé pour se sentir près de lui.

« - Excusez-moi...Mademoiselle ?...S'il vous plaît... »

Elle laissa échapper un grognement pas du tout féminin et ses yeux papillonnèrent. Il lui fallut quelques secondes avant de réaliser dans quelle situation elle se trouvait : elle s'était endormie.

« - Putain quelle conne, dit-elle

- Je suis sûr que vous ne l'êtes pas, répondit une voix masculine en rigolant »

Elle sursauta et leva les yeux pour examiner la personne se tenant devant elle. C'était un militaire, il devait avoir à peu près son âge et la regardait avec un grand sourire. Revenant sur la raison de son réveil, elle vit que le soleil se couchait. Elle devait rentrée avant qu'il ne fasse totalement nuit. Elle n'avait jamais apprécié le noir. Elle fronça les sourcils en se rappelant la présence du jeune homme et se leva d'un bond. Elle ne devait pas rester là. Elle s'éloigna d'un pas actif sous la mine étonné du militaire totalement déboussolé par son comportement.

« - Eh ! Attendez, cria-t-il »

La jeune femme se retourna légèrement, secoua la tête et reprit son chemin ignorant totalement le militaire.

« - Dites-moi au moins votre prénom ! »

Silence. Elle était déjà partie.

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 03, 2014 ⏰

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