Le grand méchant toutou

Chapitre 28 : Le chiot des dieux

« Elie. Le bébé pleure encore. Réveille-toi ! »

Je m'extirpai du sommeil en sursaut. Mes sens s'éveillèrent progressivement, et je distinguai de mieux en mieux les petits cris perçants de Moses Jr. Je jetai un œil à mon réveil : six heures du matin. Cet enfant était terriblement matinal.

Cela faisait deux jours que Jack avait été enlevé, et, ironie du sort, je bénissais la présence d'Oswald à mes côtés. Même si le manque extrême provoqué par le marquage me trouait la poitrine encore plus qu'elle ne l'était déjà en plus de me laisser complètement affaiblie, le terrible chiot apportait une présence familière et réconfortante. Il compensait avec ses sens lupins mes propres sens, qui à cause de l'absence de Jack étaient comme affaiblis eux aussi. Voilà pourquoi je n'entendais pas Moses Jr pleurer la nuit et qu'Oswald était obligé de me réveiller.

Pour protéger le fils de Camilla et Paul, nous avions accueilli Moses Jr chez les Sanders. Nous avions placé un vieux lit pour bébé appartenant autrefois à Mary dans ma chambre, et il m'incombait de nourrir cet enfant au féroce appétit qui se réveillait toutes les trois heures pour réclamer son lait. Chacune son tour, Gladys et moi nous levions pour le satisfaire, afin que je ne m'effondre pas totalement.

Car oui, je vivais dans une angoisse totale depuis que James avait filé avec le corps inerte de Jack sur ses épaules. Outre l'inquiétude que je ressentais en permanence, j'étais assaillie de beaucoup trop de questions qui ne rencontraient jamais de réponse. Quand Moses Jr dormait et qu'on entendait seulement son petit souffle paisible, moi, je tournai et me retournai dans mon lit, en dépit d'Oswald qui pestait que si je ne dormais pas, il ne pouvait pas dormir non plus.

Encore ensommeillée, je pris doucement le bébé hurlant dans mes bras, traînant ma misérable carcasse jusqu'à la cuisine. J'y retrouvai Gladys, qui semblait réveillée depuis plusieurs heures, très affairée à préparer un biberon tandis que Joseph s'occupait de préparer des rongeurs pour le petit-déjeuner. Alors que je m'approchai d'elle, elle me tendit rapidement le biberon que je m'empressai de donner à Moses Jr, qui se mit à le boire comme un mort de faim.

« Bien dormi ? me demanda Gladys avec un petit sourire qui se voulait rassurant, une fois que Moses Jr avait complètement arrêté de pleurnicher.

-Heu... ça peut aller, marmonnai-je, la tête tournée vers le bébé.

-Tu sais, on se fait au manque lié au marquage. N'est-ce pas Joseph ? » lança Gladys à son amant.

Celui-ci hocha frénétiquement la tête, et à voir son sourire un peu forcé, je devinai que « se faire au marquage » était une affaire de semaines, autant de temps que je n'avais pas pour sauver Jack et protéger les Sang-Noir de la fureur de James et de sa Meute Blanche. Je soupirai, berçant Moses Jr pour lui faire faire son rot. « En effet, la situation est dramatique. » constata Oswald. « Enfin bon, je trouve que cet enfant n'est pas un problème, au moins. Il est plutôt mignon quand il ne pleu-... Je retire ce que j'ai dit. Quelle horreur ! »

J'eus un frisson mauvais : Moses Jr venait de régurgiter sur mon épaule. Gladys, qui cherchait visiblement de quoi se consoler face à la situation affreuse dans laquelle nous nous trouvions, éclata de rire et accourut pour essuyer ce désastre.

« Berk... » commenta une voix à l'entrée de la cuisine.

César et Bethany, un plein panier de petits rongeurs à la main qui devaient bientôt servir de collation aux loups, étaient entrés discrètement. César, qu'on avait retrouvé anesthésié par James plus loin dans la forêt, ne se remettait pas de son incompétence le jour de l'assaut de la Meute Blanche. Même si pour le faire tomber, il avait fallu qu'on lui tire cinq flèches anesthésiantes dans la cuisse, le Gamma s'en voulait terriblement. Avec la blessure qu'il m'avait infligée et qui, avec le manque de Jack, manquait de me faire tomber à chaque fois que je me levais, l'honneur du bourreau Sang-Noir en avait pris un sacré coup. Pour se racheter, il avait récupéré le travail autrefois entrepris par Eva avant qu'elle ne disparaisse également : il veillait sur la maison Sanders, jour et nuit. Bethany, elle, se chargeait du suivi médical de Moses Jr, se sentant également coupable de ne pas avoir trouvé une solution pour protéger ses parents dont le sort était aujourd'hui incertain. Ni elle ni moi ne voulions penser à ce qui était advenu de Camilla et de Paul entre les griffes de James.