Limbo

L'éveil

  Mimant la position fœtale, le petit être tremblait, recroquevillé sur lui-même. Seuls quelques spasmes clairsemés, dansant avec d'imperceptibles gémissements, laissaient croire que la vie devait se terrer quelque part enfouie dans son corps meurtri. 

Les yeux révulsés : ni complètement éveillé, ni complètement endormi. Il était écartelé par deux entités égoïstes, tirant chacune de leur côté pour se l'accaparer. De la matière noire bouillonnante, similaire à du pétrole, s'extirpait en continu de sa bouche tout en formant langoureusement la flaque dans laquelle il gisait.

Comme un apnéiste revient des profondeurs insondables de l'océan, il émergea. 

Inspirant bruyamment, puis possédé par une quinte de toux effroyable, l'enfant ne comprenait pourquoi ce liquide ignoble s'évertuait à suinter hors de son corps. Au bout d'un certain temps, l'acceptation finit par avoir raison de sa condition.

Le garçon n'était pas dans son environnement habituel. L'air froid d'une nuit d'automne, porté par une multitude de senteurs boisés, le fit frissonner du bout des oreilles jusqu'à la pointe des pieds. 

Après s'être frotté les yeux à maintes reprises, il ne put qu'ingérer l'information que ces derniers lui envoyaient : il était pris au piège. Prisonnier d'une effrayante geôle végétal. Complémentent encerclé d'arbres gigantesques et ténébreux, eux-mêmes entourés d'une multitude de monstrueux arbustes épineux. 

Ceux-ci donnaient l'impression d'être soudés entre eux, tant leurs branches et leurs ramifications entremêlées, formaient une muraille infranchissable. Les géants d'écorces lui entravaient visiblement la route dans toutes les directions. Toutes les directions, sauf une. 

L'un des colosses, paraissant encore plus imposant et monstrueux que les autres, laissait entrevoir au bas de son tronc, un orifice faisant étrangement penser à une bouche. De celle-ci, l'on pouvait voir se dessiner tel une langue gigantesque, un chemin semblant infiniment long.

Se sentant comme une mouche éreintée, engluée sur une toile d'araignée, l'enfant baignait dans un mélange d'effroi et d'hésitation. Que devait-il faire ? Avancer sur cet étrange chemin, rester dans cette épouvantable forêt ? Qu'avait il fait pour mériter ça ? Pourquoi était-il dans ce monde horrible, de surcroît dans cet état ? Sans vraiment y prêter attention, il regarda en l'air.

Dans le firmament, entourée d'étoiles, une gigantesque lune le fixait d'un air menaçant. Giflé d'épouvante, il perdit l'équilibre. 

Aucun cri ne parvint à s'échapper de sa bouche endolorie. Allongé sur le dos, ligoté par le mutisme et baignant dans son fluide maudit, il la contempla.

La monstrueuse planète occupait la majeure partie du ciel. Un immonde sourire lui balafrait la face. Il la vit un instant s'écraser sur lui, ferma les yeux, les rouvris et la vit de nouveau là, le pénétrant toujours de son abominable regard démoniaque. Vision hallucinogène non moins réel, qui traumatisa tous ses sens. Sa transpiration déferlait à grand crue sur son front, obstruant la quasi-totalité de son champ de vision et les battements de son cœur résonnaient dans ses tempes de manières si intenses, qu'il crut les sentir imploser.

Il était dans un cauchemar, dans les limbes ou bien pire encore... Au bout d'un certain temps, allant puiser au plus profond de lui tout le courage dont il pouvait disposer, le petit homme se releva fébrilement. Ce dernier constata que l'abominable lune ne lui faisait apparemment rien, si ce n'est le transpercer de son regard foudroyant.

  Il se remémora succinctement sa vie tel qu'elle était dans son monde. Il constata avec tristesse qu'elle ressemblait dans un certain sens à cet endroit : angoissante, oppressante et sans issue apparente. Il pensa à ses proches : à sa mère, son père, à son grand père, son petit frère et à ses amis. Il avait une envie irrépressible de les revoir là, maintenant, tout de suite.

Son cœur battait à une vitesse ahurissante et résonnait dans son corps chétif. Le garçon regarda sa poitrine. Il vit son organe vital rougeoyant en sortir et en rentrer au rythme effréné de son angoisse. C'était insensé. Mais tout l'était ici. Une chose insensée dans un monde aussi insensé en deviendrait presque censée...

Il fixa le chemin baignant dans la lumière lunaire et décida de l'emprunter, sous l'œil inquisiteur de cette dernière.