Hypnotiseurs

RECIT N°6 : Le flambeur

Un juron ricocha contre les pavés, et finit sa course dans la bouche sombre du caniveau.

La rue était encore en travaux, et un des passants venait vraisemblablement de se prendre le pied dans un nid-de-poule mal rebouché.

Sébastien sourit tranquillement. Au fil de ses pas assurés, la rue faisait défiler les bars les plus variés : un bar à cocktail à l'ambiance latino, un club select pas encore ouvert, le bar à tapas et sa serveuse exubérante, le bar branché du moment qui affichait déjà complet... et enfin le sien. Enfin, celui où il travaillait en tout cas.

Sébastien était barman depuis un an et demi maintenant, et depuis 6 mois dans ce bar.

Le bar était calme, mais le jeune barman ne s'en inquiétait pas : un mardi à 18h en plein été c'était chose courante. D'ici peu les clients devraient arriver en masse, il devait être prêt. Il re-cala le panneau des suggestions de cocktails, réarrangea le comptoir une fois son collègue de l'après-midi parti, et pianota machinalement sur le clavier d'ordinateur pour choisir une playlist.

Son petit côté « métalleux » préférait le bar dans lequel il bossait avant, mais arrivait tout de même à glisser quelques morceaux pour se faire plaisir dans l'ambiance rock imposée par son patron.

Le quartier était plus calme durant cette période de vacances d'été, et les touristes passaient rarement dans cette rue pourtant festive le reste du temps. C'était d'ailleurs ce qui avait plus à Sébastien : l'ambiance de cette rue fréquentée principalement par ces étudiants ou ces jeunes professionnels un peu insouciants qui voguaient généralement de bars en bars sans soucis du lendemain.

Et puis il y avait fait de belles rencontres : les étudiantes étaient pour beaucoup à peine plus jeunes que lui et son statut de barman lui conférait une prestance plutôt bienvenue dans certaines situations...

Il se racla la gorge et tenta de reprendre un peu de contenance en rangeant quelques verres. En mettant de côté les gens trop alcoolisés qui lui déballaient leur vie, il avait passé de bons moments !

Sur cette profonde réflexion il sortit son portable et entreprit de répondre aux sms insistants de sa compagne.

Mais il n'eut pas beaucoup de temps pour lui : déjà les premiers clients arrivaient. Quatre jeunes femmes, discutant vivement et riant fort, s'installaient déjà sur les canapés proches de l'entrée. Sébastien y jeta un coup d'œil : quatre amies, qui n'attendaient semble-t-il personne d'autre, jeunes professionnelles probablement, et dans un domaine où le « dress code » est plutôt strict. Il tabla sur des banquières et – pour l'une d'entre elle, peut être une prof.

Il vérifia sa tenue, saisit deux cartes et alla leur souhaiter la bienvenue. C'était un de ses grands jeux de deviner qui étaient ses clients et clientes, et de vérifier ses estimations. Hélas, en l'occurrence, aucune de ces jeunes filles ne semblait disposée à converser avec lui : elles étaient très absorbées dans leur débat, malgré le bonjour poli qu'elles lui adressèrent. Il retourna donc à son bar, au moment même où entrèrent deux jeunes, peut être étudiants, qui le hélèrent du bout du bar et commandèrent deux bières. Ils jetèrent un coup d'oeil intéressé au groupe de jeunes femmes mais, évaluant avec lucidité leurs chances de succès, choisirent une table un peu plus proche du bar.

Sebastien finit par prendre la commande des quatre jeunes femmes (quatre cocktails) et les servit. Quelques minutes plus tard, un nouveau groupe de jeunes entrait dans le bar, bruyant, festif, le genre qui avait décidé de passer une bonne soirée. Ils s'installèrent et Sebastien sourit : c'était le genre de groupe qu'il aimait et qui plongeait le bar dans une ambiance agréable.