Amertume

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Le bruit dans la ville s'était enfin tu. Le cortège sans fin des âmes hurlantes, les clameurs des désespérées, les chocs de l'acier contre l'acier, contre les crânes... tout ce qui pouvait découler d'une forme d'agitation s'était éteint avec l'approche insidieuse de l'aube, l'avancée progressive des torches dans les rues. Sûr que plus rien n'était en état de crier après leur passage...
La lumière grise-orangée commençait à pointer à travers les espaces clos formés par les bâtiments couleur cendres, couverts de cendres chariées par les vents. L'air en était saturée.
Une odeur de mort, de victoire, de défaite, de combat qui prennait à la gorge, collait à la peau et s'infiltrait dans les bronches. Toute la vie qui avait autrefois bercée ces rues marchandes semblait s'être tapie hors d'atteinte de danger, retenant sa respiration pour ne pas attirer l'attention. Ville libérée et traumatisée, la population était pourtant habitué aux potences, à la cruauté du défunt sultan mais rien n'y faisait: le marché resterait vide ce matin.

Un éclat soudain. Un cri, une course-poursuite, une ombre svelte jaillit de l'ombre, scruta les environs avec précipitation avant de se jetter dans la ruelle adjacente à la petite place de marché. À la même seconde déboulaient deux hommes armés au pas de charge.
Forcé de s'arrêter, le premier cracha part terre, déjà ruisselant sur son armure immaculée malgré la fraîcheur des rues sableuses. La salive perlant à ses lèvres était sombre, mêlée de sang, quatre magnifiques entailles barraient son visage de part en part. Profondes et sanguinolentes, elle fendaient ses lèvres inférieures et supérieures, les scindaient presque en deux. Une lueur de meurtre au fond des yeux, il dégaina une lourde épée et l'abattu sur une carcasse de tonneau abandonnée, hurlant:

"- Montre-toi boule de poils miteuse! Que j'arrache ton beau pelage que je te transforme en manteau de fourrure!"

Son camarade, plus calme, s'adressa à l'ombre lui aussi, d'une voix presque amusée qui résonna en écho dans la place:

"- Comme on a déjà joué avec les créatures de ton espèce,  oui... (il effectua quelques mouvements avec son épée avec orgueil) Tu as déjà entendu le bruit d'un couteau à écorcher sur la chair à vif d'une créature vivante? La plus belle musique du monde..."

Il s'agissait bien sûr d'une forme basique de provocation, la silhouette cachée en avait bien conscience. Mais dans l'ombre,  sa main se refermait déjà sur son bâton, une main armée de puissantes griffes rougies.
L'homme acheva un moulinet et fit courir sa main sur sa lame, le visage fendu lui aussi, mais d'un sourire odieux:

"- Le plus beau son reste celui des mères, quand on s'occupe de leurs enfants..."

C'était plus qu'il en aurait fallu. Comme un ressort qui se détend, l'ombre jaillit de son poste d'observation et assèna un violent coup de son bâton ferré, paré de justesse par le vantard. Il ricana malgré tout:

"- Voilà donc notre petite chapardeuse... Tu vas nous accompagner, ça intéresserait messire Dantes d'apprendre pourquoi tu avais besoin de ses vivres."

Sous la grande capuche, le regard bleu-glace se durcit, un grondement inhumain se fit entendre. Le soldat lui lança un regard dedaigneux par-dessus sa lame, presque fatigué.

"- C'est quoi cette mine que tu nous fais là? Je ne fais que mon travail...

-Je vais te crever., la voix le coupa, féminine et tranchante, assombrie par la colère, Je vais te crever toi comme je vous crèverai tous. Et je finirai par le dégénéré qui vous sert de commandant.

- Ah! En voilà une qui ne manque pas d'air!"

Et d'un mouvement violent il profita de sa baisse de vigilance pour la projeter à terre. Elle se rattrapa de justesse et demeura accroupie, aux aguets, prête à riposter.

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⏰ Dernière mise à jour : May 15, 2017 ⏰

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Ces cendres que le vent emporteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant