Onzième partie.

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J'ai honte. Honte de t'avoir bassiné avec mon père ; honte de m'être ouvert à toi. Je ne veux plus te regarder dans les yeux, je n'en suis plus capable. Tu n'avais pas le droit de t'immiscer dans ma tête, dans mon univers. C'était mon refuge ; celui que personne ne connaissait, celui où personne ne pouvait me suivre. Pourtant, je me suis comporté comme un gosse qui a trouvé quelqu'un qui pourrait enfin le rassurer. Je me suis confié à toi, comme si les années lycée n'avaient jamais existées. Mais tu ne pourras pas les effacer. Même si tu es gentil, même si tu viens tous les samedis, à dix-huit heures dix-huit, dans ma petite et vieille librairie merdique. La porte s'ouvre, et tu entres. Tu n'as pas le même parfum que d'habitude. Surprenant. Peut-être que tu étais à un rendez-vous, avec une ancienne fille du lycée, ou une nouvelle venue dans ta vie. En fait, je m'en fous. Je suis trop énervé contre toi pour me préoccuper de ça. Même si je m'en préoccupe quand même. Tu dois comprendre que je ne suis pas de bonne humeur, parce que tu accroches directement tes affaires au porte-manteaux et fais nos deux cafés. Non, tu ne me berneras pas. Je ne tomberai pas dans ton piège, tu ne me feras pas oublier ces années lycée. Tu ne prononces pas un mot. Et ça vaut mieux, parce que sinon je t'aurais sûrement mis mon poing dans la gueule. Tu me tends ma tasse en silence, et t'installes dans mon vieux fauteuil sans faire de bruit. Je me hisse sur le comptoir et bois mon café, en même temps que toi. Je crois que tu t'es rendu compte que je t'en voulais. Parce que tu ne cherches pas à savoir ce que j'ai ; je pense que tu attends simplement que je me calme. Arrête de jouer au mec parfait, qui sait tout, qui comprend tout. Je ne veux pas me persuader que tu as changé, je ne veux pas à nouveau me confier. Tu ne mérites pas mes espoirs, mes désillusions, ma peine. J'ai déjà trop souffert. À cause des rumeurs. À cause de l'indifférence. À cause de la solitude. À cause de tes regards moqueurs et ton air dédaigneux. J'ai beaucoup trop souffert. Ça y est, je vais fondre en larmes. Mais pas devant toi, non, je ne te ferai pas ce plaisir.

-Pars.

Je l'ai dit sans te regarder, pour que tu ne puisses pas assister à la détresse qui doit sûrement se lire sur mon visage, ou dans mes yeux, ou une autre connerie dans le genre. Tu te lèves, poses ta tasse à côté de la machine à café, prends tes affaires et sors. Je n'ai senti aucune colère, indignation, ou incompréhension dans tes gestes. En fait, je crois que tu t'en doutais, que j'allais te dire ça. Je t'entends fermer la porte derrière toi. Je ne sais pas si tu es parti, ou si tu es devant la fenêtre ; si tu t'en fous complètement ou si tu me regardes, un peu inquiet. À vrai dire, je n'en ai rien à faire. Je ramène mes jambes contre mon torse en enfouissant ma tête dans mes bras.

Et j'éclate en sanglots.

18h18.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant