J'ouvre les yeux et mon rêve s'éloigne. Je me lève, abattue. Il parait si réel à chaque fois que la réalité me rattrape, je sens toujours ce sentiment de déception m'envahir. Je traîne des pieds, jusqu'à la salle de bains, m'adonne au rituel quotidien du matin et descends dans la cuisine. Mon père ronfle encore sur le divan du salon. J'avale un verre d'eau et terminer le pain sec resté sur la table. Joyeux anniversaire Blondie! Je sais déjà que cette année sera semblable aux deux dernières. Alors, je sors la bougie que je garde toujours pour cette occasion, l'allume, ferme les yeux de toutes mes forces et souffle pour que mon rêve se réalise. Puis, il est temps de prendre le chemin de l'école. Je prends soin de fermer la porte d'entrée sans faire trop de bruit parce que je sais que si mon père se réveille, il sera de mauvaise humeur. Mon sac sur le dos, je marche les deux kilomètres qui me sépare de la ville. Lorsque j'arrive enfin dans la cour de l'école, je m'installe près de l'entrée de la classe et sors mon livre. Le seul que je possède, Pinocchio. Ma mère me la lisait tout le temps, parfois quand je le relis, j'entends sa douce voix me la raconter. La cloche sonne et nous nous mettons en rang, je suis toujours seule derrière les autres élèves rangés deux par deux. Je suis la fille du Boucher, c'est comme ça que l'on surnomme mon père dans les rues de Paducah. C'est une petite ville où les rumeurs sont mis au rang de vérité absolue. On murmure que c'est mon père qui est à l'origine de la mort de ma mère, certains affirment qu'il l'a coupé en morceaux pour mieux faire disparaître son corps. Pourtant, rien de tout ça n'est vrai. Ma mère est parti au paradis parce qu'elle était gravement malade et elle a décidé de s'éteindre chez elle plutôt qu'à des centaines de kilomètres dans une chambre stérile. Mais cette version est beaucoup moins extravagante. Le cadre dans lequel on vit, alimente aussi les conversations des habitants. Notre ferme délabrée, mon père vrai ermite qui passe son temps à boire, tout ça m'exclu davantage du reste de cette ville. Mais avec le temps, je m'habitue à cet inconfort. Je suis certaine qu'un jour, mon prince charmant sur son cheval débarquera devant ma porte comme un vrai chevalier et me délivrera de tout ça. Je monterai sur sa monture sans hésiter et il m'emmènera loin, très loin. C'est toujours le même rêve, toujours le même souhait et je sais qu'il viendra.
— Blondie! Hé bien qu'est-ce que tu attends pour entrer?
La voix de Madame Simons envoie valser mes pensées en un clin d'oeil. Je m'exécute et l'entends ajouter en levant les yeux au ciel.
— Toujours dans la lune...
Je m'installe à ma place, seule et sors mon cahier et mon ardoise. Puis, la maîtresse commence la leçon. Quelques minutes à peine que nous avons commencé les multiplications que la porte grince. Tout le monde réagit alors de la même manière et c'est un ensemble de chaises grinçant qui résonne. La porte s'ouvre en grand, laissant pénétrer le soleil de toute sa lumière, une silhouette s'avance comme s'il amenait la clarté avec lui puis sa silhouette devient une ombre jusqu'à ce que je découvre, ce garçon. Timidement, il marche jusqu'à Madame Simons. Ses yeux planqués derrière une franche bien trop longue, le menton rentré, il regarde encore ses pieds quand la maîtresse s'adresse à lui.
— Comment t'appelles-tu?
Il parle dans sa barbe et de là où je me situe, je n'entends pas. Madame Simons élève alors la voix.
— Tu peux me regarder quand je te parle?
— Jimmy Sullivan, madame!
— Bien. Va t'asseoir maintenant, je te prie.
Je le regarde pendant qu'il fait ce qu'on lui demande mais ses traits sont cachés derrière son épaisse chevelure bouclée. Il s'assied au fond, sa table à côté de la mienne, séparée par la rangée. Pendant toute la leçon, il n'a pas levé la tête et moi je suis restée là, à l'observer, fascinée par le nouveau. Un nouveau dans une ville aussi petite que Paducah, ce n'est pas tous les jours que ça arrive.
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La carte au trésor
RomanceEt si le grand amour existait... Et si on était capable de tout quitter pour le retrouver... Malgré le temps, les obstacles, les galères. Si ce besoin irrépressible de le sentir, de l'aimer, lui, était plus fort que tout.