Cigarette

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"Avance, inspire, gauche, droite, avance, expire, gauche, droite..."

Une cigarette en moyenne dure sept minutes. Elle consume sa carcasse. Comme un homme consume sa vie. Elle est bonne au bout des lèvres. Elle est douce dans la bouche. Elle a cette odeur piquante, qui brûle les yeux. Elle gonfle les poumons. Endort le cerveau. Une fois finie on l'écrase. Seule au fond d'un cendrier, entouré de ses propres cendres, son cadavre navigue. On l'allume. On la consomme. On la détruit. Elle ne se plaint pas. Elle ne se plaint jamais. Elle est heureuse. Comme notre corps qui tressaute pris de vertige. L'afflux de nicotine dans les veines fait perdre la tête, perdre l'esprit.

"Avance, inspire, gauche, droite, avance, expire, gauche, droite..."

Un café, une clope. Une pause, une clope. Un verre, une clope. Une soirée, une clope. Un entraînement, une clope. Une journée, un paquet.

"Avance, inspire, gauche, droite, avance, expire, gauche, droite..."

Ses yeux divaguent. Un bonnet sur la tête, une écharpe autour du coup, un pull sur les épaules, il baisse la tête, un sourire accroché aux lèvres, une ombre dans le regard, ses doigts dansent dans la nuit, quatre cigarettes déjà.

"Avance, inspire, gauche, droite, avance, expire, gauche, droite..."

Le dernier paquet, les dernières lattes, après ce ne sera plus qu'un mauvais souvenir. Les yeux braqués sur ce ciel de janvier, pensant, ressassant sa vie. Le briquet dans la main gauche, la clope dans la main droite. Sa mémoire défaille.

« Hey ! Ça fait longtemps que t'as rejoint le club ?

- Deux jours.

- Oh c'est cool tu vas voir. Bon les entraînements sont durs mais l'ambiance est bonne. On se prend pas la tête.

- Ok »

Quelle première rencontre. Tellement de joie de vivre. Comment a-t-il fait pour continuer de venir lui parler. Comment a-t-il pu avoir envie de le découvrir ? Il était si, il ignore le terme exact, alors ce soir il décida qu'il était puant. Il puait la prétention. Il puait le luxe. Il puait le négatif.

« On sort ce soir avec le groupe. Tu te joins à nous ?

- Non. »

Froid, il était même glacial. Et sauvage. Un rictus sur les lèvres, il baissa le regard sur son jardin. Dans le noir, il n'y vit que la nuit. La tendre lumière rouge de sa cigarette s'agitant sous l'épaisse fumée que formait sa bouche. Il regarda sans la voir l'herbe devant lui.

« Un bonjour une fois de temps en temps c'est trop te demander ?

- Bonjour »

Et il était parti. Au bout d'un mois dans ce club il avait pu sentir la joie quitter cette homme. Il posait des yeux de merlan frit sur lui. C'était le seul à s'user. Le seul qui essayait d'entamer un dialogue.

« J'en ai marre sérieux ! Tu pourrais faire un effort merde. On entretient une bonne mentalité ici alors tu fous ta vanité dans ta poche quand tu franchis les portes et tu réponds autrement qu'avec dédain Monsieur Glace ! »

Trois mois, mais il était toujours là. Il lui prêtait attention. Personne ne l'avait fait jusqu'ici. Il était le seul. Il était beau quand il s'énervait. Il ressemblait à un ange tout rouge. Il avait les cheveux châtain légèrement ondulés, sur le haut du crâne. Des lèvres pulpeuses fines, des yeux bleus, brillants. Il était gracieux, de belles formes, bien proportionnés. Ni trop, ni pas assez. Juste parfait.

Cigarette OS LSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant