Un brouhaha incommensurable emplit la pièce pendant que les deux restaient à deux coins opposés de cette dernière. Elle était assise sur une table calmement, en riant de temps en temps, sans remarquer les yeux qui la fixaient. A l'autre bout de la salle d'étude, les yeux verts et perçants du blondinet la jugeaient. Son regard et sa posture étaient faussement méprisants, adossé contre le mur les gens passaient devant lui comme s'il n'était qu'une pièce du décor. Ses bras croisés, ses lacets défaits, il ne rejetait pas l'image d'un garçon très soigné, contrairement aux autres garçons qui, comme un tic, passaient la main dans leur cheveux pour se recoiffer et prenaient les deux tiers de leur temps le matin pour choisir une simple tenue. Lui ne se rappelait même plus de quelle façon il était habillé.
Il baissa les yeux vers son t-shirt et ses baskets au moment même où elle détourna le regard des personnes en face d'elle pour le fixer lui. Sans trop savoir comment, elle s'était sentie observée et ses yeux s'étaient posés sur le jeune homme. Elle ne le fixa qu'une seconde, peut-être deux, avant de retourner son attention sur l'autre garçon qui souriait d'un air un peu bête devant elle. Le voyant rire, elle rit avec lui, sans pour autant avoir compris un traître mot de la plaisanterie qu'il venait de sortir.
Elle leva les yeux au ciel en remarquant qu'il commençait à chantonner. Valentin avait remarqué qu'elle n'était plus parmi eux. Il la connaissait vraiment trop, ça en devenait de plus en plus effrayant. Elle sourit et lui tapa gentiment l'épaule pour qu'il se taise avant de crier haut et fort, et il en était capable, des paroles de chansons françaises dégoulinantes d'absurdité comme il savait qu'elle les détestait.
« - Aïeuh ! glapit-il en se tenant l'épaule, exagérant son expression terrorisée. 'Nice t'es franchement pas sympa...
- (Elle rit) Je préfère t'entendre gémir que supporter ta voix de casserole en train de chanter des monstruosités.
- Gnagnagna, grimaça-t-il. Si tu m'avais écouté aussi je n'aurais pas fait l'idiot.
- Pas faux... Tu gagnes un point l'asperge, sourit-elle avant de sauter de la table, en attrapant ses feuilles et sa trousse de feutres au passage. On va manger ? »
Le grand brun hocha vivement la tête avec un sourire taquin sur le visage. Et tandis qu'elle passait devant lui d'un pas déterminé, il étendit sa jambe qui la fit trébucher sans pour autant la faire tomber. Il pouffa de rire, pendant qu'elle, reprenant ses esprits, le poussa avec un sourire complice. Cela lui manquera, ces petites chamailleries amicales et quotidiennes qui lui paraissaient comme une routine, l'énervaient parfois, la faisaient pleurer ou rire aussi, mais pourtant lui étaient indispensables.
Elle garda son sourire sur tout le chemin malgré ses pensées qui vagabondaient, fusaient, filaient dans sa tête, comme des feux d'artifices brûlants ou des comètes glacées.
Elle releva la tête vers la fenêtre qui dévoilait une cour blanche comme la neige sous les éclats du soleil. Non, ni comète ni feu d'artifice, les pensées de Bérénice n'étaient pas aussi dévastatrices.
Et lui, le premier garçon, pendant tout ce temps, l'avait regardé sagement. Son sourire n'avait pas disparu une seule seconde, même lorsqu'elle avait failli tomber en marchant. Il n'arrivait pas à comprendre comment elle faisait. Généralement, ces filles qui souriaient tout le temps souriaient aussi bêtement, riaient comme des oies, s'agitaient inutilement. Mais elle, rien de tout cela. Elle restait droite, calme, son sourire sincère et ses yeux pétillants d'un je-ne-sais-quoi.
Ce n'était pas la première fois qu'il la croisait. Aussi étrange que cela puisse paraître, il aimait observer les gens quand il avait le temps. Les couloirs regorgeaient d'une palette de nuances de couleurs, de visages, de tailles et de sons. Il aimait le calme mais il appréciait aussi observer le bruit. Les voix par plusieurs dizaines s'exclamaient, murmuraient puis se taisaient, laissant place à celle de leur interlocuteur et ainsi de suite, sans que jamais ce cycle sonore ne se reproduise à l'identique.
Et lorsqu'elle passait, ce cycle bouleversé retentissait d'autant plus autour de lui. Parce-que, sans savoir comment, elle modifiait tout. Elle était entourée de bruit, semblait l'écouter elle aussi mais, contrairement au jeune homme, semblait y participer aussi. Elle n'avait pas besoin d'ouvrir la bouche, pas besoin de chuchoter, parler, crier, elle n'avait besoin de rien. C'était ses yeux qui parlaient à sa place, son sourire, sa démarche, elle semblait s'émerveiller de plus en plus à chaque petite tâche. Elle ouvrait son casier et le simple grincement qu'il produisait semblait l'enchanter. Elle trouvait son ami, et même un banal bonjour semblait pour elle un cadeau inespéré. Il ne comprenait pas comment elle faisait. Elle détonnait dans ce décor habituel, alors comment ne pas l'avoir remarqué avant la fin de l'année ? Sûrement était-il trop renfermé sur lui-même comme si souvent on lui disait...
Il tourna la tête vers le reste des gens présents dans la salle d'étude. Cela faisait sûrement une bonne dizaine de minutes que la sonnerie avait retenti, et ainsi annoncé la pause repas, mais l'imminence des vacances se sentait dans chaque recoin de l'établissement. Les gens grignotaient à l'intérieur, criaient, poussaient les tables à leur convenance, s'aspergeaient d'eau, arrosant également les personnes autour au passage... enfin, pour généraliser la chose, les lycéens n'en faisaient qu'à leur tête pour leur dernière journée de cours.
Plongé dans ses observations, il ne remarqua pas les élèves qui piaillaient derrière lui, de plus en plus proches, jusqu'à ce qu'un jet froid lui trempe tout l'arrière de son t-shirt et le gèle sur place. Fermant les yeux sous la surprise, il les rouvrit et tomba face aux regards de tous les élèves braqués sur lui, certains gloussant, d'autres pouffant voire même éclatant de rire. Il inspira un grand coup. Tout ce qu'il détestait. Contrairement à tous ces inconscients qui rêvaient de vacances pour enfin retrouver leurs amis mutuels, lui ne rêvait que d'une chose : être enfin dans le calme, et surtout enfin seul. Il se voyait déjà les deux mois à pouvoir enfin choisir quand il avait le droit d'être conscient ou inconscient, quand exactement il verrait du monde ou ne verrait que les murs de sa chambre. Loin de ces idiots qui braillaient inutilement à longueur de journée. Et trempaient des inconnus en pleine salle de classe. Il baissa la tête vers son t-shirt blanc qui dégoulinait derrière son dos.
N'accordant ainsi plus du tout d'attention à celle qui était sortie il y a quelques instants, il soupira de mécontentement en maudissant ces adolescents qu'il allait encore devoir supporter une après-midi. Une longue après-midi, avant d'enfin connaître sa propre et véritable définition de liberté.
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Une myriade d'étoiles
General FictionLes étoiles se perdaient sur le chemin de la Voie Lactée. Le bleu d'encre du ciel se reflétait sur les feuilles froissées de Bérénice, éclairées par la lueur éclatante de la lune enfin réveillée. Et pourtant, en-dessous de ce spectacle quotidien qu'...