Quand j’étais petit, je rêvais, aujourd’hui je pense…
J’ai toujours habité dans ce petit village près de l’Atlantique. Mes parents y étaient nés, alors moi aussi. J’avais été fils unique mais j’avais toujours rêvé d’avoir un frère, un ami, un camarade. Mais j’étais seul. Peut-être, si mon rêve s’était réalisé, je ne serais pas celui que je suis aujourd’hui… Je ne savais pas, je détestais ne pas savoir. À quoi cela servait-il de vivre dans l’ignorance ? Et pourtant mes parents me gardaient innocents. Eux, pensaient que je ne voyais rien, moi je rêvais qu’ils l’apprennent. Mais j’ai vite grandi et appris, trop vite surement… Mais je m’en fichais. J’avais un regard différent des autres sur le monde. Les élèves de mon école me trouvaient bizarre, mais ça aussi je m’en fichais. Je ne vivais que pour apprendre.
Jusqu’au jour où j’ai rencontré une femme, elle était magnifique. Elle avait de petits cheveux bruns qui brillaient au soleil, une petite barrette pour retenir sa mèche qui, sans ça, cacherait ses beaux yeux verts. Dès que je l’avais vue, j’étais tombé amoureux. C’était une rencontre qui aurait pu faire l’intrigue des veux téléfilms du dimanche après-midi. Nous étions dans le même lycée, dans le même couloir et bientôt tous les deux le derrière par terre. On s’était regardé rouge de honte de s’être bousculés, puis je l’avais aidé à ramasser ses affaires étalées sur le sol. Quand elle fut partie j’avais ramassé les miennes. J’étais heureux, heureux de connaître un nouveau sentiment. Nous nous étions revu plusieurs fois suite à cette intrigue et ce sentiment m’accompagnait toujours.
Très vite, nous fûmes mariés. Elle voulait des enfants, moi aussi. Même si son seul sourire me comblait de bonheur, il y avait toujours eu de la place pour un ou deux de plus. Mais les efforts étaient vains. Plus les jours passaient, plus je voyais la mine de ma femme devenir fade. Malgré ça je ne cessais de l’aimer.
Un soir, elle était rentrée plus tôt qu’à son habitude, les cernes noirs, la peau plus blanche que du lait et les larmes aux yeux. Je l’avais prise dans mes bras, mais je ne savais pas quoi faire, je ne savais même pas ce qui lui arrivait. Nous nous étions assis, ses mains dans les miennes. Puis elle me le dit, elle était mourante, un serial killer la traquait. Heureusement, nous connaissions son nom : Cancer. Mais même avec cette information essentielle à son arrestation, nous n’avions pas l’argent, mais je promis à ma belle de travailler jour et nuit pour payer le traitement. Je ne dormais que deux heures par nuit, et le reste du temps j’allais pécher les huîtres, quand le soleil était au plus haut, je parcourais toute la région pour faire tous les marchés.Mais une nuit, je rentrais de la pêche, et juste après avoir posé mon sac, je le ressentis : le vide. Un trou énorme. Tout était calme mais ça ne devait pas le rester, c’était impossible, je sentais les larmes me tremper les joues. Et je hurlais, je hurlais son nom… J’étais resté sans réponses, sans aucun signe de vie. Le désespoir s’était alors installé en moi. Je ne dormais plus, je ne mangeais plus, j’étais la bête qui répétais son quotidien attendant que sa belle revienne, ou que la mort vienne le tuer. Je ne vivais que par son souvenir.
L’été arrivait, et cela faisait neuf mois que ma douce était partie… Je la sentais souvent près de moi, quand j’étais sur mon petit navire de pêche. Quand le vent se levait, je m’imaginais qu’elle était là, ses mains douces me caressant la nuque. Je m’imaginais que nous regardions l’horizon espérant voir au loin, sur le ponton de notre cabane, notre enfant, une jolie petite blonde, aux yeux bleus, nous faisant signe de sa petite main, et rigolant aux éclats. Je m’imaginais voir le sourire de ma femme, qui de son autre main faisait signe à notre fille. Et moi, apaisé, heureux. Mais chaque fois, la pluie commençait à se faire entendre, je voyais alors ma fille avoir peur, pleurer, m’appeler : « papa ! », et moi ne rien pouvant faire, je me penchais au-dessus de l’eau et je voyais
ma femme couler, jusqu’à se noyer dans les profondeurs.Je perdais la tête…
J’étais seul, totalement seul. Ma tête n’était remplie que part des pensées inutiles. À cette époque de ma vie, j’aurais pu devenir un grand philosophe qui aurait marqué l’histoire. Mais tout ce à quoi je pouvais penser quand j’étais sur l’eau restait bien profond dans mon esprit. Finalement je m’étais rendu compte que, seul, j’avais plus appris sur la vie qu’avec toutes mes années d’école. Et tout cela simplement en pêchant de petites huitres. J’avais longtemps observé les femmes sur la plage, leurs jolis corps, leurs rires, leurs cheveux flottant dans le vent, leurs premiers amours, leurs tromperies, leurs malheurs. Puis j’avais aussi observé les hommes, leurs bagarres, leurs amours passionnés, leurs découvertes, leurs malheurs… Et moi, d’année en année, de pensées en pensées, je vieillissais, ma peau devenait rugueuse, ridée, des cernes apparaissaient de plus en plus noirs et au contraire de celles-ci, mes cheveux étaient eux, plus blancs.
Cela faisait maintenant huit ans, huit ans que ma femme avait disparu, huit ans que j’espérais chaque matin la revoir, près de moi ou à la cuisine préparant un bon café. Mais mon lit était toujours aussi froid et vide, et ma cafetière ne marchait plus depuis quelques mois. Je soupirais et me levais, afin de philosopher une fois de plus sur tous ce qui m’entourait. Arrivé sur le port, je décrochais la corde qui gardait mon petit navire. Mais je sentais quelque chose de différent cette fois-ci. On m’observait, je jetai alors un coup d’œil vers la gauche, et aperçu sa silhouette. Une jeune fille comme dans mes pensées, une jolie petite blonde, aux yeux aussi magnifiques que sa mère. Je me ressaisis, et montai dans mon petit navire. Plus j’avançais dans l’eau, plus je sentais une insistance, comme si quelqu’un voulait que je le voie. Arriver à mon lieu de pêche habituelle, je me tournai, et la revit. Cette petite. Elle n’était pas comme dans mes pensées, non, elle était comme dans mes rêves ! Mon cœur s’accélérait, le vent soufflait fort, les nuages étaient gris, une tempête s’annonçait et cette petite était seule. Je ne voyais aucun parent aux alentours, personne sur la mer, personne pour l’aider. Et j’étais partie, tel un lâche. Mais je ne devais pas faire la même erreur que dans mes pensées. Je ne devais pas me laisser abattre, je ne devais pas la laisser m’appeler, crier mon nom : « papa ! », je changeai alors tout de suite de trajectoire. Malheureusement le vent n’était pas mon ami ce jour-là. J’arrivais tout de même à temps pour aider cette pauvre petite, qui elle aussi était seule. Je courus sur le port m’agenouilla devant la petite fille, lui prit ces épaules et la supplia de venir avec moi. Elle était sans expression, face à un vieillard fou de désespoir : moi.« Papa », je reconnaissais ce mot, qu’elle venait de prononcer. Je levai alors la tête, les larmes aux yeux. Je lui demandai de répéter, et elle le fit : « papa ».
Ce jour-là, la petite fille m’avait prise la main, un petit sourire de compassion au coin des lèvres, et elle m’emmena dans la cabane. Arrivé à l’intérieur, elle m’avait fait un café, comme ma femme me les faisait. Et moi j’étais resté là, assis sur mon vieux lit, en plein rêve. J’avais peur, peur de me réveiller, pour la première fois, je ne voulais pas ouvrir les yeux, je ne voulais pas savoir pourquoi, pourquoi elle était là. J’avais l’impression d’être face à ma femme. Aucun mot n’était sorti de ma bouche, ni de la sienne ce jour-là. Le lendemain, elle était toujours là, le jour suivant aussi, et tous les jours qui suivaient aussi. Personne n’avait jamais demandé à la revoir. Et plus les jours passaient, plus je reprenais goût à la vie. J’étais devenu son père, et elle ma fille, celle dont nous avions toujours rêvé.