|| anémone ||

- lilas -

" Cher Sébastien,

Aujourd'hui, ce n'est pas une adolescente qui t'écrit, ni une sorte de manipulatrice avide, mais bien un garçon amoureux de toi. C'est vertigineux, n'est-ce pas ? De savoir que tu es parvenu à charmer un homme au-delà de toutes ces filles. Je reste étonné que jamais un autre n'ait tenté sa chance avec toi, Sébastien. Cependant, depuis ce jour où tu es venu m'adresser une parole, un regard, j'ai été secoué, et je ne crois pas pouvoir cacher mes sentiments plus longtemps.

Tu es un garçon populaire, et pour cause. Tu es beau, drôle, sportif, et un peu casse-cou, tu es toi, Sébastien. Alors, pourquoi tenter ma chance avec toi ? C'est vrai, je suis fou. Mais l'amour n'a pas de raison.

Je pense beaucoup à nous, à ce que nous pourrions être ensemble. Je n'ai jamais rien découvert de plus enchanteur que ton regard bleu qui transperce le mien, et le mien s'accroche, et je perds l'équilibre. Je ne veux pas que tu voies tout en moi, toutes mes pensées d'amour et toutes mes terreurs. Mais tu es si simple avec les autres et avec moi, je veux te faire confiance. Je n'ai jamais rien découvert de plus que ton sourire, celui que tu donnes aux autres, celui que tu m'as donné un jour. Il était si beau, resplendissant. Je crois en notre avenir tous les deux. Est-ce que tu y crois avec moi, Sébastien ?

Les mots sont si durs à trouver pour te dire tout ce que porte mon cœur pour toi. Ils ne seraient jamais venus à l'oral, c'est pourquoi je te les écris, je veux que tu puisses les saisir, les froisser, les embrasser. Fais-en ce que tu veux, mais si tu le peux, fais de moi un amant, et fais de nous un couple heureux.

M'aimes-tu, Sébastien.

Gabriel. "

Être différent, sentir le regard des autres sur soi changer peu à peu, leur jugement se métamorphoser et s'émietter. Leurs hochements de tête approbatifs et inquiets tandis que leurs yeux s'enfuient vers les autres, vers les semblables, et cette danse folle des esprits honteux qui ne savent plus vraiment quoi te dire. Être différent, la société te le fait comprendre, elle te l'enfonce subtilement dans le crâne, comme un chien qui te guette, qui se jette sur toi, qui mord et qui enrage, il a décidé que tu serais sa proie, se moque de la punition qui l'attend en retour, il lève la tête, fier de t'avoir atteint. Une morsure qui se soigne, mais son souvenir reste ancré en toi, dans ton enfance, et il refait surface pour te rappeler que tu n'es pas comme tout le monde.

En primaire, j'ai embrassé un garçon. J'avais à peine une dizaine d'années, et je le trouvais beau. « Il n'y a pas de mal à embrasser quelqu'un qu'on trouve beau », c'est ce dont j'étais convaincu. Personne n'a parlé de cela à mes parents, mais beaucoup m'ont méprisé par la suite. Encore aujourd'hui, je ne sais pas si c'est une bonne chose ou non, qu'ils ne sachent pas. Je n'aurais jamais cru apprécier le sentiment de liberté que l'on trouve dans le mensonge, dans ces situations où l'on sait, mais où l'on se fait tout petit pour se fondre dans la masse. Je n'aime pas dire les choses tout haut, les écrire sont ma seule alternative. Réfléchir à chaque phrase et sous-peser chaque terme, chercher le rythme idéal et la musicalité parfaite pour dire.

* * *

Je serrais l'enveloppe qui contenait mes mots, adossé au mur qui sectionnait la cour et l'entrée du bâtiment principal. La lumière en déclin traversait les vitres de la porte automatique, inondait le couloir d'or et de vermillon. Les halos de poussière flottaient devant moi, fuyaient au souffle incertain de mes narines. J'ai jeté un timide coup d'œil vers le sac pesant à mes pieds, déposé par Sébastien quelques minutes auparavant. Il pouvait revenir d'un instant à l'autre, récupérer ses affaires, et me regarder de travers. J'étais posté là, seul alors que les autres lycéens rentraient ensemble, discutaient de leur futur week-end, planifiaient leur après-midi shopping, leurs repas de groupe, tous ces infimes plaisirs d'étudiant et d'amitiés éphémères qui m'intriguaient. Je regardais filer le crépuscule autour de moi, sans un mot, retenu ici par le vrombissement de la climatisation.